Dans cet article paraissant un an jour pour jour après le décès de Jacques De Decker, nous avons souhaité donner la possibilité aux visiteurs de « L’ivresse des livres », de retrouver certains enregistrements de ce dernier, captés lors de rencontres publiques (A deux reprises « Les Coups de Midi » lui ont été consacrés, en 2009 et 2018), ou dans la maison qu’il aimait tant, Rue Chapelié (une centaine de « Marges et contre -Marges »), mais aussi les interviews que nous avions enregistrées en vue de la monographie consacrée à l’auteur de « La grande roue » (parue en 2010 et en voie de réédition) intitulée « La Faculté des lettres » . Ce titre est aussi celui d’une conférence qui sera donnée au Collège Belgique le 29 septembre 2021 . (J.J. L’ivresse des livres.)
On sait combien Jacques De Decker a défendu, promu, encouragé « les autres », les acteurs et actrices du monde littéraire et culturel au sens le plus large dont il aimait souligner les qualités, l’originalité, le talent. Au fil des années, il bâtissait aussi sa propre oeuvre à laquelle il nous a toujours semblé que l’on s’intéressait insuffisamment. L’oeuvre de Jacques De Decker omniprésent ambassadeur des lettres et de la culture, n’a pas encore été, à nos yeux, assez mise en valeur par celles et ceux qui se spécialisent dans l’étude des lettres belges de langue française, que ce soit à travers le roman, le théâtre ou l’essai. Pour ce dernier « genre » littéraire, il conviendrait d’y inclure l’ensemble des articles publiés dans Le Soir mais aussi dans d’autres publications, ainsi que les éditoriaux dont « Le Carnet et les Instants » (N°207/ Avril 2021) a fait dernièrement l’évocation, publiant un entretien que nous avait demandé Michel Torrekens.
Dans cet interview l’occasion nous était donnée d’évoquer les préfaces que Jacques De Decker écrivait pour des livres aussi importants que les rééditions des nouvelles de Philippe Jones ou des essais de son maître Jean Weisgerber, mais aussi la place singulière des éditoriaux de la revue MARGINALES et la postface qu’il m’avait demandée pour la réédition de son roman Le ventre de la baleine (paru aux Editions Weyrich et à propos duquel nous avions enregistré un long entretien avec Jacques De Decker que l’on peut écouter ici.
Le privilège de l’amitié d’un demi-siècle nous a donné l’occasion à plusieurs reprises de tenter, à notre niveau, de pallier cet « effacement » de l’oeuvre et de forcer la nature modeste de l’académicien en nous efforçant de le faire témoigner sur ses propres créations. Il y eut ainsi en 2010 la monographie (aujourd’hui épuisée et qui sera rééditée bientôt sous le même titre qu’il aimait beaucoup) La Faculté des lettres . Cet essai abordait, notamment à travers des entretiens avec Jacques De Decker, l’oeuvre de fiction en prose (nouvelles et romans), l’aventure de la revue MARGINALES (dont j’ai été le témoin privilégié en qualité de rédacteur en chef de 2009 jusqu’à son décès en 2020 et que nous n’avons pas souhaité poursuivre sans qu’il n’en soit aux commandes), l’engagement européen (en évoquant notamment des projets que nous avions souhaité promouvoir dans l’optique culturelle européenne), et d’autres sujets encore. Cet essai devait être suivi de deux autres: l’un consacré aux écrits critiques (en cours d’élaboration, mais retardé par l’accès difficile aux archives), l’autre consacré aux oeuvres théâtrales (qui n’a plus lieu d’être depuis la magistrale analyse de celui-ci par Paul Emond en ouverture du « Théâtre complet » publié aux Editions de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique et dont nous avons rendu compte ici) accompagnant cette recension d’une interview de l’écrivain et dramaturge Paul Emond.
Au fil des années, nous avons eu l’occasion d’enregistrer de nombreux entretiens avec Jacques De Decker. Certains ont fait l’objet de publications sonores sur le site (aujourd’hui intitulé) « L’ivresse des livres ». Sous le nom de « Marges et contre-marges », ces doubles chroniques étaient l’occasion pour Jacques De Decker , après son départ du journal Le Soir, de renouer avec l’actualité culturelle et littéraire. C’était chez lui, dans sa maison de la rue Chapelié – ( dont il nous avait dit qu’il souhaitait « qu’elle conserve la mémoire de (son) père, le peintre Luc De Decker, de (son) frère, Armand De Decker, et de l(lui-)même ») – que nous nous retrouvions pour qu’il enregistre ces chroniques dont on peut écouter sur ce site une centaine d’enregistrements. Disposés en deux volets, – une lecture d’un texte bref et une improvisation d’une vingtaine de minutes -, ces diptyques n’ont rien perdu de leur intensité d’érudition et d’acuité. Dans cet exercice effectué en toute liberté, que ce soit dans la durée ou dans le choix des thèmes, Jacques De Decker abordait l’actualité culturelle, littéraire et sociétale à travers les romans à paraître, les classiques à relire, les traductions à saluer, mais aussi, plus rarement, en éclairant l’actualité à travers ce que lui inspiraient des personnalités politiques. Il y a là pour ceux qui s’intéresseront à la démarche dedéckérienne un inépuisable gisement d’intelligence critique et d’érudition partagée.
Nous l’avons également interviewé à l’occasion de l’actualité éditoriale le concernant, comme le projet de livre d’art accompagnant la nouvelle « Suzanne à la pomme » d’illustrations de l’artiste Maja Polackova, livre qui sera édité en 2020 chez Maelström Editions, ou à la réédition de son roman Le ventre de la baleine (Editions Weyrich), ou à la reprise de son adaptation de La Cerisaie au Théâtre des Martyrs (2011) dans une mise en scène de Daniel Scahaise.
Nous republierons de façon régulière, les entretiens au cours desquels nous interrogions Jacques De Decker sur son oeuvre, forçant chaque fois cette réserve naturelle que le romancier manifestait lorsqu’il s’agissait de parler de lui.
Sans doute la complicité amicale qui nous liait depuis plus d’un demi-siècle ( « une sorte de tandem à la Laurel et Hardy », disait-il lors d’une rencontre littéraire à l’A.E.B. ) avait-elle suscité chez lui une confiance qui l’autorisait à nous confier la tâche de « Monsieur Loyal » lors de ces exercices publics au cours desquels nous avions la charge de l’interroger. Il y eut, à l’Hôtel de ville de Bruxelles la présentation de sa première biographie parue chez Folio Gallimard (Wagner), mais aussi les deux anniversaires des « Coups de Midi des Riches Claires », un concept de rencontres littéraires que Jacques De Decker mit sur pied en 1998 (avec la complicité de la directrice de la bibliothèque des Riches Claires, Marie-Angèle Dehaye et de sa collaboratrice Marie-Christine Jadot) pour mettre en évidence les écrivains qui faisaient l’actualité de l’édition belge francophone. Il y eut deux occasions de célébrer cette manifestation inscrite depuis plus de vingt ans dans le calendrier littéraire belge francophone: la « centième » (mars 2009) et le « vingtième anniversaire » (mai 2018). Dans les deux cas, Jacques De Decker accepta de devenir « l’arroseur arrosé » et de répondre aux questions au lieu de les poser. A ces deux occasions, il avait souhaité que nous soyons son interlocuteur.
L’enregistrement video et sonore du vingtième anniversaire est disponible sur le site de la Bibliothèque des Riches Claires et sur le site de « L’ivresse des livres » . Pour cette soirée nous avions demandé aux auteurs de la revue Marginales de nous adresser les questions qu’ils souhaitaient poser au jubilaire, avec une consigne: l’interroger sur son oeuvre à lui! et , pour ce qui nous concerne, l’empêcher de céder à sa vocation première , celle de parler des autres…
Dix ans plus tôt, souhaitant souligner la centième édition des « Coups de Midi », nous devions identifier un écrivain hors-norme qui serait à la hauteur de cette édition spéciale. Ainsi, cet invité exceptionnel fut Jacques De Decker lui-même. Il me revenait de l’interviewer à cette occasion, non pas en ses qualités d’animateur-fondateur des coups de midi, mais en tant qu’écrivain. L’enregistrement de cette centième (dont Christopher Gérard avait accepté d’être le 99e invité) qui se déroula dans la salle de Riches Claires est dorénavant accessible sur le site de « L’ivresse des livres » :
Il y a un an jour pour jour s’éteignait Jacques De Decker. Nous nous proposons d’évoquer ici et ailleurs son oeuvre, que ce soit à travers des entretiens, les archives sonores dont nous disposons ou des publications et participation à des conférences ou colloques.
Nous espérons ainsi continuer à apporter notre contribution et notre témoignage aux travaux que ne manqueront pas d’inspirer au niveau européen et francophone, l’œuvre protéiforme d’un artiste irremplaçable.
Jean Jauniaux, le 12 avril 2021.