Eric Lamiroy À la volée, Editions Lamiroy, 2025, Journal, 160 pages, photographies de l’auteur, 20€, ISBN: 9 782390 810285
Surgi par une belle et spectaculaire effraction il y a quelques années dans le monde de l’édition littéraire belge avec un slogan, « Chacun a un roman en soi » (cité de mémoire), Eric Lamiroy n’avait pas encore appliqué à lui-même cette injonction (que la grande éditrice Françoise Verny n’aurait pas renié).
C’est chose faite aujourd’hui avec un ouvrage qui se classera dans différents rayonnages des bibliothèques : essai, souvenirs, journal, « beau livre » (l’éditeur-écrivain est aussi photographe), recueil de nouvelles, assemblage poétique… Il nous donne la recette de cette création atypique : écrire en temps réel, « à la volée », des moments du réel à partir desquels, in situ, il laisse la plume courir sur le papier (comme la jeune fille sur une terrasse qu’il observe écrivant sans discontinuer sur les pages d’un carnet Moleskine), les doigts sur le clavier ou la voix dans le dictaphone.

Bien sûr, quoiqu’il en dise, il aura travaillé ses textes, les aura façonnés et polis pour qu’ils se lisent avec la même allégresse que celle de l’auteur au moment où, redevenu éditeur, il peaufine ce qui devient, comme certains ouvrages de Sebald, une déambulation d’amitié et d’aménité parmi les siens, mais aussi une manière d’auto-portrait. Celles et ceux qui connaissent la silhouette débonnaire d’Eric Lamiroy, qui le croisent dans les allées des salons du livre, qui échangent avec lui sur tout et rien, découvrent ici l’amitié, l’attention, l’empathie qu’il leur porte en partageant, par livre interposé, l’évocation de moments de grâce qui sont autant de dévoilements de l’auteur. On découvre ainsi, entre autres, son attachement à Frédéric Jannin, dont il désespère de ne pouvoir acquérir les œuvres exposées qui complèteraient la collection compulsive qu’il en a déjà (l’occasion d’écouter un le dernier disque, virtuel, du dessinateur en scannant un QRcode généreusement partagé (Timeless Mess).
Il y a bien sûr, parmi d’autres, des écrivains dans ces pages, ceux qu’il publie ou qu’il aime à fréquenter. Dans la première catégorie figure en bonne place Luc Dellisse. On s’en souvient avec émotion, c’est ce dernier qui mit en œuvre l’édition posthume du roman du tant regretté Maxime Lamiroy Deux sœurs et qui l’accompagna d’une lumineuse préface. Dans la seconde, il y a Jacques Richard – il vient de publier un beau roman à l’enseigne Lamiroy dont nous reparlerons ici – et son épouse, écrivain elle aussi, Pascale Toussaint qui accueillent chez eux (ils habitent la maison de Louis Scutenaire) des rencontres littéraires suivies d’un repas « auberge espagnole » (La seule participation demandée est d’apporter un fromage. Ils se chargent du reste…. souligne Lamiroy ). Et on découvre incidemment que l’éditeur enregistre ces rencontres et bien d’autres événements dont il fait des podcasts (En direct et sans retouches).
Il suffit d’un clic sur le site du podcast « Couvre livre » ( ) pour y écouter ces enregistrements, dans la liste desquels on retrouve bien sûr quelques protagonistes de À la volée : l’ami de toujours et directeur littéraire aujourd’hui de la maison Lamiroy, Gaëtan Faucer, Joske Maelbeek, Alain Magerot, Marc Danval… Des (fausses) confidences, transmises avec le détachement que permet la douceur de l’humour, jalonnent le récit : les double coca zéro servis dans des verres à Duvel, la fascination pour l’Atomium,- un attachement féroce au vestige de 58 au point de l’avoir tatoué sur le poignet-, des échanges avec la presse littéraire (Jean-Claude, Joëlle S.), des rencontres en librairie, le combat contre le surpoids…

Écrivant à la volée cette (non)-recension, j’ai bien conscience qu’elle ne fera qu’effleurer le charme rieur, l’émotion pudique, l’humour bienveillant, de celui qui se dévoile ainsi « à la volée », sans jamais se dérober à la sincérité ni au mouvement du cœur, sans lyrisme malvenu. A chaque page du livre, la curiosité du lecteur est piquée (ne serait-ce que par les titres, comme ce « Savoir-Fer » annonçant l’Atomium). Elle n’est jamais déçue.
Notre nouveau piéton de Bruxelles cultive, malgré les milliers de pages de manuscrits (« des tonnes ! ») qu’il a lues, la fraîcheur et la grâce d’inventer et de nous offrir un nouveau genre littéraire, fait à la fois de poésie, de tendresse, d’aménité, de sincérité… Pour s’en convaincre, il suffirait de lire le chapitre consacré à Gaëtan Faucer (lauréat d’un des Prix Manneken-Prix, une invention de notre éditeur-auteur), ou celui qui évoque la belle Maison de la Poésie d’Amay (Impressions libres ), ou encore… Mais je n’en finirais pas.
Chacun mérite de s’y arrêter, d’être lu « à la volée », dégusté sur une terrasse par exemple, ou dans un lieu devenu littéraire grâce à un livre, celui-ci, inattendu, inespéré, irremplaçable.

Jean Jauniaux, le 5 octobre 2025, recension écrite à la volée dans les travées de la Librairie Tropismes, au cinquième jour du tournage de L’ivresse des livres, un court métrage adapté de l’ouvrage éponyme de Jean Jauniaux, réédité chez MEO, film réalisé par Philippe Reypens.
Sur le site des Éditions Lamiroy, vous trouverez l’ensemble des livres réunis dans les collections aussi diverses que Les opuscules, L’article, Cette année-là…(dont vient de paraître l’année 1955..la première fiction de « l’homme aux lunettes blanches ».) et tant d’autres…
Et sur la page dédiée au livre « A la volée », vous trouverez un trombinoscope de tous les protagonistes du livre, mais aussi un calendrier des lieux où l’auteur vous donne rendez-vous pour dédicacer votre exemplaire et , qui sait, partager un Coca Zéro servi dans un verre de Duvel…
