Lors d’une rencontre littéraire organisée au siège de la Maison d’édition Asmodée-Edern, il a été question de l’histoire du cinéma belge.

Mené tambour battant par une des figures de proue de la promotion du septième art, Philippe Reynaert (oui, « l’homme aux lunettes blanches »), l’entretien avait pour heureux prétexte la sortie d’un livre, un « récit-roman » dont le genre en littérature s’apparenterait au « docu-fiction » en cinéma. L’ouvrage, préfacé par Jean-Michel Ribes (excusez du peu), parcourt avec brio la biographie de son auteur Eric Van Beuren, dont le lecteur découvrira qu’il est bien davantage que le producteur de cinéma et de télévision que l’on connaît (Téléchat, Le Renard à l’Anneau d’or, Souvenir of Gibraltar, Marquis, Les maîtres de l’orge etc..)
De cette autobiographie, co-écrite avec Marcel (son chien singulièrement utile pour évoquer ce que le maître aurait préféré escamoter, par pudeur ou aménité) le producteur de cinéma a constitué un archipel de courts chapitres dont les balises sont autant d’évocations de l’amitié, sans laquelle l’auteur reconnaît que rien de ce qu’il a entrepris n’aurait pu se réaliser.
Van Beuren s’essaie même à définir l’amitié, dont « certaines relèvent du céleste, de l’apostolat », dont il renonce bien vite à en cerner la complexité théorique, pour évoquer, et ce pour notre plus grand bonheur de lecteur, la manière concrète dont elle s’est incarnée. En faisant appel à Marcel (son chien narrateur) pour alterner le point de vue, et libérer la parole, Eric Van Beuren s’arrête, de chapitre en chapitre, dans une succession d’escales dont les lecteurs de sa génération et toutes les générations de cinéphiles, se souviendront qu’il y ont assisté… Que ce soient les actualités Belgavox, – les débuts de la carrière de Van Beuren, cameraman – , la création de y.c. Aligator Film – on apprendra ce que signifient les deux initiales minuscules y.c. -, la série télé Le Renard à l’Anneau d’Or adapté du roman de l’autrice belge Nelly Kristink, le long métrage Souvenir of Gibraltar…et, finalement l’ensemble de la filmographie de Van Beuren, chaque moment de cette vie se transforme sous la plume de l’auteur ou la patte de son chien (qui écrit en italique), en épisodes d’une saga virevoltante, drôle et grave, palpitante à chacune des étapes d’une vie hors-normes. Les passages les plus émouvants sont bien sûr ceux consacrés à cette indéfectible amitié avec Henri Xhonneux et au vide que laissa son décès à 49 ans, l’amitié aussi avec Topor qui complétait un des trios les plus créatifs du cinéma et de l’audiovisuel belge francophone.
Au fil du récit – qui débute tout de même en nous révélant que Van Beuren a participé aux J.O. de Tokyo en 1974 ! – apparaissent les noms et les visages du cinéma belge contemporain du trio, les Marion Hänsel, Wajnberg, Vercruysse, Ingber. On y découvre les coulisses des marchés (MIP TV), des Festivals (Cannes, Moscou – l’occasion d’une rencontre manquée avec Jacques Tati…), celles des financements publics ou privés, l’évolution aussi du paysage audiovisuel, transformé du tout au tout au cours des cinq dernières décennies.
Avec ce témoignage, habilement construit pour être lu d’une traite, la bibliothèque consacrée au cinéma belge s’enrichit d’un nouveau volume. Il rejoint et complète les ouvrages (que nous avons déjà commenté à leurs sorties respectives) de Frédéric Sojcher et Philippe Reynaerts. Il est à remarquer que les trois témoins (Van Beuren, Sojcher et Reynaerts) sont de plus en plus explicitement attirés par la littérature de fiction. Gageons qu’à l’instar du Fac Off (Frédéric Sojcher) et du 1955 (Philippe Reynaert), le roman annoncé de Van Beuren ne devrait plus tarder.
Pour notre plus grand bonheur de cinéphile et de lecteur…
Jean Jauniaux, le 23 octobre 2025.
Pour compléter, voici les liens vers quelques chroniques et interviews à propos d’ouvrages consacrés au cinéma belge:
Philippe Reynaert, 1955, Editions Lamiroy, collection « Cette année-là »
Philippe Reynaert, De julien Gracq à André Delvaux, Editions du CEP
Frédéric Sojcher, Anatomie du cinéma, Editions Nouveau Monde
Frédéric Sojcher, Main basse sur le film , Editions Genèse
Frédéric Sojcher, Le fantôme de Truffaut, Les Impressions nouvelles
Frédéric Sojcher, Manifeste du cinéaste, Editions Klincksiek
Etc, Etc…
Qui ne se souvient de la série Téléchat de Henri Xhonneux et Roland Topor, du sulfureux long-métrage Marquis des mêmes auteurs-réalisateurs, de la série Les maîtres de l’orge écrite par Jean Van Hamme ?
Eric Van Beuren en était le producteur. Il décrit sa vie passionnante dans les coulisses de ces créations qui l’ont mobilisé pendant tant d’années.
À 83 ans, en filigrane, il nous parle de l’amitié avec un grand A, celle qui est indispensable pour réussir à voyager dans ce fascinant métier de producteur audiovisuel.
Ce faisant, il retrace l’aventure de ce jeune cinéma belge qui a succédé aux premières années des Meyer, Storck et Delvaux, un cinéma aujourd’hui reconnu et admiré dans le monde entier. Mais c’est à son chien, son ami noir, qu’il a décidé de confier ce qu’il préférait taire. »