« Les poètes de la rue Ducale », une anthologie poétique composée par Yves Namur

Anthologie, Les poètes de la rue Ducale, Introduction et choix de poèmes par Yves Namur, Éditions de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique, 2025, Anthologie poétique, 244 pages, photographies de l’auteur, 20€, ISBN: 978-2-8032-0093-1 

Il est, parmi d’autres, deux institutions littéraires qui mériteraient d’être davantage connues et, surtout, fréquentées : l’Académie et la poésie. Elles sont ici réunies dans un volume de textes choisis et introduits par le secrétaire perpétuel de la première, et rendues accessibles à travers cinquante-sept poètes illustrant la seconde. Leurs noms s’échelonnent, par ordre alphabétique, de Franz Ansel (pseudonyme de Franz Folie) à Liliane Wouters. Le maître d’œuvre de l’anthologie qui est lui-même poète et éditeur de poésie, a choisi de n’apparaître qu’en introduction du volume. Cette position en retrait nous vaut tout de même de relire la citation de Maeterlinck que Namur évoquait dans son ouvrage consacré au Prix Nobel de littérature. Selon lui, « la poésie n’a d’autre but que de tenir ouvertes les grandes portes  qui mènent de ce qu’on voit à ce qu’on ne voit pas.. » (cité dans Yves Namur, Ainsi parlait Maeterlinck, Paris, Arfuyen, 2021). 

La lecture d’une anthologie nécessite plusieurs temps. Celui de la découverte, au cours duquel on s’arrête à la fois sur les noms qui nous sont familiers et que nous aimons, mais aussi sur ceux qui nous surprennent. Celui de la lecture attentive des uns et des autres, dans un ordre aléatoire, au gré d’un instinctif et inconscient mouvement  de la curiosité. Et puis, dans un temps ultérieur, le livre posé à portée de main, le lecteur ouvre au hasard le volume et relit, plus attentivement, les textes dont il a corné la page, ou souligné un vers, ou annoté un titre. 

Une recension d’anthologie ne peut être exhaustive. Elle devrait être écrite à différentes reprises pour rendre compte de l’émotion, de la surprise, de la grâce renouvelées à chaque lecture. Dans tous les cas, surgit de chacun de ces textes cette « merveille » qu’il nous donne à lire, selon la belle formule de Norge : un poète est « l’ouvrier d’une merveille ». 

Parmi les écrivains contemporains, membres actuels de l’Académie, nombreux sont celles et ceux dont nous avons évoqué l’actualité éditoriale, à travers des recensions ou des entretiens radio (auxquels on peut toujours avoir accès par le biais du blog « L’ivresse des livres » ou dans les archives des AML). Certains à propos de la parution de recueils poétiques (Corinne Hoex, Philippe Jones, Eric Brogniet, Philippe Lekeuche), d’autres dont l’actualité éditoriale concernait le roman, la nouvelle, ou l’essai (Jean Baptiste Baronian, Véronique Bergen, Luc Dellisse, François Emmanuel, Xavier Hanotte, Caroline Lamarche). 

Les redécouvrir ici, par fragments, donne un éclairage nouveau à l’ancienne lecture. Ainsi, de Baronian nous découvrons une poésie gourmande mais aussi « rimbaldienne » (J’ai inventé le bel azur./Et les parfums d’Arabie./ J’ai terrassé les dragons./ J’ai marché sur les eaux vives (…). De Lamarche, la délectation des mots convoqués pour évoquer Bruxelles. De Hoex, les retrouvailles avec Uzès ou nulle part. De Dellisse, l’exploration de l’enfance. De Brogniet, un New-York incandescent de littérature…

Ouvrant les pages dédiées aux « anciens », la modernité surgit de ces textes signés Louis Piérard (dont 2026 sera l’année du 75e anniversaire de la mort…), qui évoque avec une puissance digne de son ami Verhaeren, les ténèbres du Borinage dont il évoque la terrible misère des mineurs avec rage et épouvante,  Rythmant/ l’avidité du gouffre noir qui se repaît (…) . La mélancolie de Max Elskamp évoquant l’ivresse des matelots aux escales nocturnes et lointaines, semble faire écho à la mystique de Thomas Braun et de son Livre des Bénédictions, mais aussi aux lointains qu’évoque avec la puissance des survivants le liégeois Marcel Thiry, hanté par la mémoire du voyage fondateur, qui le mena, vieil adolescent, autour du monde dans le sillage de l’expédition des Auto-Canons mitrailleurs et qui se souvient d’avoir été ce soldat pérégrin/ Sur le trottoir des villes inconnues 

Il ne serait  pas envisageable ici de citer toutes et tous dont nous relisons et relisons encore quelques fragments de cette lumière qui nous touche, surgie des poèmes de Claire Lejeune, de Louis Dubrau (récemment rééditée dans la belle édition des « Femmes de lettres oubliées »), Liliane Wouters ou Marie Gevers.

Il suffirait peut-être alors d’inviter les lecteurs et lectrices de ces lignes, à entrer par effraction dans le livre, et à se laisser enfermer dans cette grâce que suscite la poésie, comme si chacun de ses fragments ici réunis, reflétait la lumière de tous les autres.  

Je ne voudrais achever cette chronique sans citer Albert Ayguesparse, qui illustre ce qu’il y a d’intemporel et d’éternel dans la formulation poétique du monde, l’exaltation infatigable de l’indignation qu’il inspire : Je remue les débris épars/d’une vie déjà longue/ mais jamais je n’oublierai/ grinçant dans l’aire rouillé/ les cris perdus des émeutiers.

Jean Jauniaux, le 6 octobre 2025 

Sur le site de l’Académie :

Depuis sa création, notre académie a accueilli nombre de poètes, certains faisant de la poésie une activité essentielle, voire exclusive, d’autres s’étant «frottés» à ce genre littéraire, alors même qu’ils sont reconnus pour leurs œuvres en prose. Dans cette anthologie sont présents des auteurs à redécouvrir et dont il serait parfois bon de se souvenir ainsi que des romanciers qui n’ont pas négligé cette discipline de l’humilité qu’est la poésie. Certains ont été des adeptes du romantisme, du classicisme ou du lyrisme, un Maeterlinck est unanimement reconnu comme le maître du symbolisme, voire le précurseur du surréalisme, un Jules Destrée a servi le poème en prose. D’autres, qui font notre bel aujourd’hui, voisinent avec l’écriture minimaliste, le fantastique, la métaphysique, l’humour, etc.

Yves Namur, auteur d’une cinquantaine de recueils de poésie dont La tristesse du figuier (Lettres Vives, 2012) et La nuit amère (Arfuyen, 2023). Il a signé de nombreuses anthologies, seul ou avec Liliane Wouters. Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique et membre de l’Académie Mallarmé.