On connaît l’inépuisable inventivité des Éditions Lamiroy dont le catalogue est d’une rare diversité : entre les « Opuscules » dont la collection de nouvelles publiées en petit format compte plus de 300 titres et « KNIGA » le catalogue de littérature russe (créé, animé et dirigé jusqu’à son décès par le regretté Maxime Lamiroy), des dizaines d’auteurs et autrices proposent un titre : fiction courte, roman, essai littéraire (la collection « L’Article »)… On ne pourrait citer tous les noms , dont certains faisaient leur « entrée en écriture », sollicités par l’éditeur en raison parfois de leur notoriété en dehors de la littérature.

Nous avons eu l’occasion à différentes reprises d’évoquer cette maison atypique à travers l’un ou l’autre des auteurs qui y publiaient une nouvelle, un roman, une traduction. En ce début septembre 2025, ce sera l’éditeur lui-même, Eric Lamiroy, qui se lancera dans l’arène littéraire en publiant un premier livre, À la volée… Nous y reviendrons.
Une nouvelle collection, Cette année-là, nous donne aujourd’hui l’occasion, à travers un de ses titres d’évoquer la dernière invention littéraire de l’éditeur… Le concept de la collection est simple : regrouper autour d’une thématique et d’une contrainte identique, des fictions courtes confiées (entre autres) aux auteurs et autrices des Éditions Lamiroy. Les nouvelles ainsi confiées aux écrivains, doivent se dérouler l’année de leur naissance…

Pour évoquer cette collection, nous avons choisi l’année 1955 et un écrivain qui reconnaît volontiers que c’est sa première fiction : Philippe Reynaert. Avec 1955, il fait en quelque sorte la démonstration éclatante de ce que peut l’écriture sous contrainte. Entre les mille événements qui se sont déroulés « cette année-là », l’Homme aux lunettes blanches a choisi d’évoquer le retour de Vincent Van Gogh dans le Borinage ! A travers une fiction mettant en scène Paulette, serveuse au Carillon d’Or et quelques clients du bistrot et du voisinage, Reynaert nous raconte l’arrivée dans le Borinage de l’équipe de tournage du film Lust for life. En filigrane des émois amoureux des jeunes gens qui gravitent autour de la belle Paulette, c’est l’installation, la mise en place du plateau de tournage d’une des séquences du film que Vincente Minelli consacre à Vincent Van Gogh qu’évoque l’écrivain-critique de cinéma. Imaginez l’émotion que suscite la venue sur le site minier ( où l’on a reconstitué en surface le fond de la mine) de la star Kirk Douglas.

Avec lui, c’est tout le rêve hollywoodien que le romancier fait irradier sur son petit monde. Reynaert dont c’est le premier texte de fiction a l’art de raconter au plus près de ses personnages, cette « petite » histoire et de l’inscrire dans la double grande Histoire : celle du cinéma et celle du séjour de Van Gogh dans la région du Borinage… En 5000 mots (la contrainte de longueur imposée par l’éditeur pour cette collection), tout est dit et rien ne manque: l’écriture vive et alerte, les personnages touchant, l’environnement de la région, le fil narratif, le style adapté au sujet…
Et puis, on se prend à rêver : si ce tournage avait eu lieu cinq ans plus tôt, Louis Piérard – toujours vivant- aurait eu l’occasion de croiser le comédien Douglas incarnant Van Gogh, et jouant in situ ce que l’écrivain borain avait raconté dans un livre qui fit date, La vie tragique de Vincent Van Gogh… et qui fut réédité en 2015 dans le cadre de Mons capitale européenne de la culture…

Tiens tiens, à cette même occasion culturelle et européenne montoise, l’infatigable Philippe Reynaert organisait la restauration du film dont le titre français est La vie passionnée de Vincent van Gogh, coordonnait une exposition, un livre et un documentaire consacrés à ces dix jours qui en 1955 ont amené « Hollywood au pied des terrils »…
Jean Jauniaux, le 6 septembre 2025.
Une nouvelle collection: les histoires pour raconter la grande Histoire?
Nous avons interrogé Gaetan Faucer directeur littéraire des Editions Lamiroy à propos de « Cette année-là » :
JJ : Cette année-là est une collection de nouvelles qui se déroulent l’année de la naissance de leur auteur ou autrice. Ils sont plus d’un à avoir été sollicités pour évoquer, à travers une nouvelle de fiction, l’année de leur naissance. Comment est née l’idée de cette collection?
GF : Au restaurant. Eric Lamiroy a imaginé, entre la poire et le fromage, une nouvelle collection basée sur notre collection Opuscule qui puisse regrouper un grand nombre d’auteurs différents. Prendre les années comme départ du concept est venu entre les prénoms et les villes… Les années de naissance de leurs auteurs sont venues ensuite naturellement…
JJ : La collection comptera cinquante titres. Chaque année est attribuée à un seul écrivain… Quels sont les critères à partir desquels vous les avez choisis ?
GF : Bien plus que ça ! Il n’y a qu’une seule limite, un auteur par année et nous avons déjà publié 1925 et 2006. La plupart des années sont en cours d’écriture. Nous avons contacté les auteurs que nous avions déjà publié dans notre catalogue qui en compte plus de 500 et nous avons cherché ensuite les années qui nous manquaient.
JJ : Écrire « sur commande » est à la fois stimulant et contraignant. Comme pour les « Opuscules » il y a une contrainte de format (5000 mots) à laquelle s’ajoute une contrainte : l’histoire racontée doit se dérouler l’année de la naissance de l’auteur/e. Quelles ont été les réactions des écrivains… surprise ? enthousiasme ?
GF : Beaucoup ayant déjà écrit un opuscule, il n’a fallu que préciser qu’ils devaient écrire une histoire qui se passe l’année de leur naissance. Certains en effet ont été surpris, il leur semblait difficile d’écrire sur une époque où ils étaient bébés. Il est important de noter que ce n’est que le contexte qui compte. Pas les événements qui se sont passés cette année-là. Pour 1958, on n’est pas obligé de parler de l’Atomium mais on ne peut pas parler d’euro ni de Philippe en tant que roi des Belges.
JJ : Parmi les textes reçus à ce jour, j’imagine que certains vous ont surpris ? déçus ?
GF : De très belles surprises, des témoignages touchants et parfois une nouvelle qu’on doit refuser parce qu’elle ne suit pas la règle. L’auteur avait écrit à l’époque actuelle en parlant de toutes les années depuis sa naissance. Son deuxième texte répondit à notre demande et – en plus – il est très émouvant et réussi.
JJ : Dans quelle mesure l’ensemble de ces textes racontera-t-il l’Histoire de la Belgique ? Y a-t-il des thématiques récurrentes, des événements remarquables qui ont eu la faveur des écrivains ?
GF : Ce n’est pas notre but de départ mais, effectivement, dans une proportion d’un texte sur deux, on parcourt l’Histoire et pas uniquement celle de la Belgique.
JJ : La fiction permet-elle de rendre compte de l’état d’esprit d’une époque, de sa rumeur, de ses arômes, de ses bruits ?
GF : Absolument ! En reprenant le contexte de leur année de naissance, les auteurs nous projettent réellement dans un tout autre monde, loin d’Internet, des réseaux sociaux, des téléphones portables et de toute actualité stressante.
JJ : Certaines années ne mériteraient-elles pas d’être confiées à plusieurs écrivains, ces années-là qui furent particulièrement « chargées d’Histoire », comme 1958 (et l’Exposition universelle), 1956 (et la catastrophe du bois du Cazier), 1960 (et l’indépendance du Congo) … ?
GF : Non, l’actualité de l’époque n’est pas la base de la collection. Ce sont des histoires qui se passent cette année-là mais qui peuvent aussi bien se dérouler au fin fond d’une grotte isolée sans aucun contact avec l’extérieur comme dans la chapelle Sixtine à Rome pendant l’élection du Pape. Il n’y aura qu’un auteur par année. Nous cherchons actuellement une autrice qui serait enceinte pour écrire 2025 ou 2026…