En préparant cette interview de Grégoire Polet, nous nous sommes souvenus du portrait que nous en avait fait Jacques De Decker lors de l’enregistrement d’une de ses « Marges et contre-marges » en 2012. Il y évoquait la fonction du roman avant d’analyser deux des livres parus cette année-là, de deux romanciers belges, Ghislain Cotton et Grégoire Polet. Le lecteur trouvera au bas de cet article, la retranscription de ce que Jacques De Decker disait à propos de Grégoire Polet (l’intégrale pouvant bien sûr être écoutée sur « L’ivresse des livres » )
Le premier recueil de nouvelles du romancier Grégoire Polet était une belle occasion d’évoquer avec lui ce genre littéraire qui ne trouve plus sa place dans les catalogues et dans les choix éditoriaux des éditeurs français. Ce n’était pas le cas, loin s’en faut au XIXe siècle (Polet place d’ailleurs Maupassant en exergue de ces Soucoupes volantes ). Ce n’est pas le cas non plus d’autres littératures (russe, anglo-saxonne, chinoise ou espagnole pour n’en citer que quelques unes…). Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Grégoire Polet évoque ce que représente la nouvelle pour lui, et la place qu’elle occupe dans son histoire d’écrivain, mais aussi de lecteur. Cela nous vaut une très stimulante master class d’un des écrivains les plus attachants de la littérature francophone.
Pour écouter cette interview il suffit de cliquer sur le lien vers la chaîne YOUTUBE de « L’ivresse des livres » et, ensuite, de vous précipiter dans les librairies ou bibliothèques pour lire ces nouvelles et, le bonheur de lire en sera accru, (re)lire les romans de Polet, tous parus chez Gallimard dans la prestigieuse Blanche …
Jean Jauniaux, le 21 avril 2021.
« Pourquoi le roman ?« c’est sous ce titre que Jacques De Decker enregistrait à notre micro un des « Marges et contre Marges » que l’on peut réentendre sur le site de L’ivresse des livres. Voici la retranscription d’un extrait de cette chronique consacré à l’auteur de Soucoupes volantes », au moment de la publication de son roman « Les Ballons d’ Hélium ».
Par des temps agités comme les nôtres, où la réalité semble à tout moment dépasser la fiction, quelle peut être la fonction du roman, dans la mesure où l’on devrait lui en assigner une ? Il y a, évidemment, sa fonction divertissante. Accablés par le réel, ses servitudes et ses platitudes, nous nous évadons dans une autre dimension, où les contraintes sont consenties, et où les épreuves peuvent à tout moment être esquivées. Liberté du romanesque, nourrie de fantaisie et d’invention, de la suggestion d’un espace où tout est possible, et surtout la résolution des énigmes et le soulagement des souffrances. N’empêche : le roman peut très bien faire le chemin inverse épaissir les énigmes et sonder les souffrances. C’est ce que proposent deux romans parus récemment, dus à des écrivains belges qui ne cachent d’ailleurs pas leur jeu, annoncent la couleur et inscrivent résolument leurs intrigues dans ce territoire triangulaire où l’Europe se concentre comme en un goulot d’étranglement. L’un est le cinquième opus d’un jeune prodige dont les premiers livres se sont imposés surtout comme de brillants exercices de maîtrise précoce. Grégoire Polet, repéré par Gallimard dès « Madrid ne dort pas », il y a sept ans, avait présenté d’emblée les signes du conteur-né : de livres en livres, il se plaisait à tresser des récits composites, où différents fils narratifs s’entrelaçaient pour finir par proposer une sorte de fresque tourbillonnante dont l’allègre brio enivrait la lecture. Mais cela se passait au détriment de la plongée verticale dans le mystère des êtres. Avec « Les ballons d’Hélium », il y va tout autrement : dans ce roman focalisé, où on a l’impression que l’auteur, las des plans généraux, zoome sur le motif, un thème s’impose, l’un des plus porteurs de la littérature, qui a ses lettres de noblesse depuis « Madame Bovary », « Anna Karénine » ou, plus près de nous, « Belle du Seigneur » : le mystère de l’amour. L’Ariana de Grégoire Polet est de nature à rejoindre ces figures qui incarnent cette maladie d’amour qui, bien que si souvent traquée par les auteurs, apparemment démystifiée par certains, continue de courir. Elle est espagnole, mariée à un Norvégien, habite Waterloo, est une de ces européennes dont l’identité est plurielle, et se meurt de frustration amoureuse en raison de dix jours vécus hors du temps avec un homme de passage qui est pour elle, comme aurait dit Aragon, l’aiguille arrêtée au cadran de la montre. Si ce livre est si profondément émouvant, il le doit entièrement à la façon dont l’auteur a agencé ce qui aurait pu rester au niveau du mélo. (J.D.D. 2012 « La Marge et la Contre-Marge »)