Leur Orson Welles, Jean-Pierre Berthomé, François Thomas, Essai, ISBN : 978-2-39070-241-2, 256 pages.
A travers douze « grands entretiens » avec des collaborateurs et collaboratrices d’Orson Welles, l’essai que publient Les impressions nouvelles est passionnant de bout en bout.

Grands connaisseurs de l’œuvre du réalisateur de Citizen Kane, Jean-Pierre Berthomé et François Thomas ont sollicité pour la revue Positif où ils ont été initialement publiés, less témoignage de quelques-uns de celles et ceux qui ont été associés à la production d’œuvres signées du maître. A chacun, Berthomé et Thomas posent des questions qui permettent d’emblée d’entrer dans le vif du sujet : comment un artiste aussi génial que Welles se comportait-il face aux défis créatifs qu’il s’imposait. A cet égard, l’entretien avec Edmond Richard, directeur de la photographie du Procès est exemplaire. Depuis le choix des décors jusqu’à celui des objectifs idéaux pour obtenir à l’image le résultat attendu par le réalisateur, les questions instruites et intelligentes, débusquent à la fois les astuces techniques (l’utilisation de filtres rouges pour accentuer le contraste sans nuances entre le noir et le blanc) et les manœuvres psychologiques à mettre en œuvre pour communiquer avec le réalisateur. « Quand il allumait son cigare, il tirait dessus, il levait les yeux et quand il avait fini la première bouffée, il y avait un moment de détente où il était vulnérable. » C’est un de ces moments-là qu’il fallait saisir pour suggérer au maître une modification dans l’éclairage, le mouvement d’un tavelling, le choix d’un objectif, l’adaptation de pellicules…
On découvre aussi et c’est fascinant, à travers le témoignage de Paul Stewart, la réalisation par Welles de dramatiques radiophoniques notamment The Mercury Theatre on the air , un programme radiophonique hebdomadaire, dont les scénarios étaient des adaptations de romans de Chesterton, Doyle, et d’autres dont La guerre des mondes de H.G. Wells https://en.wikipedia.org/wiki/The_War_of_the_Worlds_(1938_radio_drama). Le récit de la préparation et des répétitions de ces dramatiques radio diffusées en direct est un témoignage exceptionnel ! Pour les curieux, certains de ces programmes sont accessibles à l’écoute sur internet.
En évoquant le souvenir d’expériences concrètes de la collaboration avec Orson Welles, chacune et chacun, depuis son poste d’observation (la production, la salle de montage, la direction photo, la décoration …), nous donnent à voir la vérité d’un immense artiste, son humanité, sa bienveillance, son respect profond des comédiens, mais aussi un niveau d’exigence tellement haut que chaque concession aux réalités de la production (et Welles en affronta d’abondance) était une souffrance intime et véritable, qu’il ne parvenant à anesthésier qu’en usant de ruses, en travaillant davantage encore, en multipliant les projets et les bribes de tournage. En témoigne le nombre de films inachevés.
Avec un tel livre, s’ouvre de façon hypnotique le cheminement d’une œuvre et s’exacerbe l’irrésistible nécessité d’en revoir tous les films en connaissant dorénavant l’énergie, les sacrifices et l’obstination qu’il fallut mettre en œuvre pour réaliser chaque plan de ceux-ci, mais aussi la fascination qu’exerce celui dont la productrice Dominique Antoine dit avec tant de justesse : « Il nous a raconté à tous tellement de mensonges admirables que personne ne sait plus très bien qui il était exactement. »
Jean-Pierre Berthomé et François Thomas le constatent : « Le portrait de Welles peint dans ces témoignages nous paraît remarquablement cohérent. Il représente un artiste parfois exaspérant, odieux à l’occasion, mais que l’on suivrait au bout du monde et qui fait découvrir leurs potentialités à ses collaborateurs. »
Ces entretiens ont pour la plupart été publiés dans la revue Positif, hormis trois d’entre eux qui sont inédits.
Jean Jauniaux, le 21 septembre 2025.
Sur le site des Impressions nouvelles :
Orson Welles a entretenu des relations très différentes avec ses collaborateurs au fil de sa carrière cinématographique. À Hollywood de 1939 à 1947, il a principalement bénéficié de l’apport de professionnels expérimentés, dont la plupart étaient prêts à mettre leur savoir-faire au service d’expériences nouvelles, au sein d’un grand studio pour Citizen Kane, La Splendeur des Amberson et l’inachevé It’s All True, puis de sociétés plus modestes pour Le Criminel, La Dame de Shanghai et Macbeth. En Europe où il a passé l’essentiel de son temps de 1948 à 1970, puis aussi, après quelques années de va-et-vient, aux États-Unis où il s’est réinstallé de 1974 à sa mort en 1985, Welles a eu tendance à s’entourer de techniciens jeunes, parfois novices ou presque, qu’il formerait et qui le suivraient dans des aventures très peu cadrées logistiquement.
Jean-Pierre Berthomé et François Thomas ont rencontré de nombreux collaborateurs de Welles pour en savoir plus sur leur relation de travail avec lui, sur leur apport propre, sur le style des œuvres auxquelles ils ont participé. Sont rassemblés dans ce livre douze de ces entretiens enregistrés entre 1982 et 2005 en France, en Allemagne, en Angleterre ou aux États-Unis. Certains abordent également les productions théâtrales et radiophoniques de Welles, aussi inventives que ses films.