« L’armée des loups », le nouveau roman de Jean-Pol Hecq aux Éditions MEO.

Jean-Pol HECQ, L’armée des loups, M.E.O., 2025, 196 p., 20 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 9782807005259

Jean-Pol Hecq, dont la voix est restée gravée dans le souvenir des auditeurs de la RTBF, notamment pour la série d’émissions Et dieu dans tout ça ? a été journaliste pendant plus de quarante ans. A force d’observer le monde comme il va et de tenter d’en dénouer la complexité en la racontant, la tentation est grande dans l’univers du journalisme, de se libérer de l’objectivité (ou du moins de son obligation) pour inventer des possibles, imaginer des fictions.

Nous avions déjà, en 2015, salué le premier roman de Hecq,  Georges et les dragons paru aux Editions Luce Wilquin. L’interview de l’écrivain est toujours disponible à l’écoute ainsi que le commentaire que nous en donnions alors : Voici un des livres les plus attachants consacrés à la première guerre mondiale à laquelle, centenaire oblige, une production abondante s’est consacrée avec un chef d’œuvre (Au-revoir là-haut de Pierre Lemaître) et un grand nombre de récits de circonstance. Avec ce premier roman, Hecq exploite à merveille la liberté qu’offre la fiction d’aller au plus près de la réalité historique. Cette liberté est d’autant plus nécessaire qu’il évoque un épisode légendaire des premiers combats : la bataille de Mons dont on se souvient de l’hallucination collective qu’elle engendra faisant apparaître dans le ciel un ange qui permit aux soldats anglais d’échapper miraculeusement à l’étau des armées allemandes. Hecq revisite à sa façon la mythologie de cet épisode, la resitue dans la tradition mystique de Saint-Georges et du rituel combat contre le dragon, invite dans son récit – dont l’action se situe en 1927 – des figures historiques (Joris Ivens, Stefan Zweig, Eric-Maria Remarque, Emile Verhaeren) qu’il mêle allègrement aux personnages de son invention.Cela nous vaut un roman que l’on ne lâche pas une fois qu’on en a entrepris la lecture, un livre qui nous invite à revisiter les lieux (le Caillou-Qui-Bique, la ville de Mons ou la région du Borinage) mais aussi à relire les livres que le romancier, dont on sait l’érudition enthousiaste, évoque avec une jubilation communicative. Le récit est mené avec justesse. Sans doute aucun, voici un nouveau vrai romancier : on ne peut que recommander de le lire toutes affaires cessantes !

Deux autres romans ont suivi : Tea time à New Delhi (2017) et Mother India (2022)

Aujourd’hui, l’écrivain nous donne à découvrir un roman d’anticipation. Après s’être inspiré d’événements historiques avérés (la première guerre mondiale et l’indépendance de l’Inde), Hecq s’appuie sur l’observation des dérives du monde contemporain, pour en imaginer et raconter un possible prolongement. Il anticipe d’une décennie seulement – le récit se situe en 2035 – l’impact à l’époque où la guerre est imminente de la combinaison entre l’IA et l’utilisation de robots comme armes de combat. Habile conteur, l’ancien journaliste entrelace pour mener à bien la fiction, deux récits : la création de robots-loups (ces drones terrestres expérimentaux) attisent à la fois les intérêts de la Confédération européenne qui se met sur pied de guerre, et, plus localement, le propriétaire d’un territoire forestier qui pourrait devenir, si on s’y prend bien, un parc d’attraction où le public pourra approcher les meutes de loups-drones, les multiples de « Wolfy » le prototype démonstrateur des meutes à venir. 

De cette fable à double détente, Hecq développe les multiples interrogations que soulèvent les situations de conflits larvés ou en cours. Il offre ainsi au lecteur, à travers la fiction si proche de la réalité, des éléments d’information – puisés dans l’actualité (ainsi Fire Factory, un dispositif intelligent qui déterminait les actions prioritaires à mener par Tsahal durant « la guerre entre Israël et le Hamas, à Gaza»  que le romancier date « de 2023-2025 » ), et des extrapolations inspirées par les appétits financiers (ainsi le Brichecoul Wolf Adventure Experience , le projet de parc animalier du hobereau local…)

Mené d’une main alerte, le roman permet au lecteur d’envisager les enjeux et les questionnements d’une thématique singulièrement actuelle : l’utilisation des drones « intelligents » dans les conflits armés. Hecq développe de façon originale et particulièrement efficace l’interrogation concernant les développements incontrôlés et autonomes par l’IA lorsqu’elle rejoint les capacités de l’intelligence humaine. En faisant de Wolfy (le prototype de robot-loup-drone) un des narrateurs du roman, le romancier approche au plus près le cheminement de l’IA vers l’apprentissage des sentiments, du questionnement « philosophique » (quelle est cette « émotion » que ressent l’ »animal », une panne de circuit ?). A l’instar de l’ordinateur H.A.L., Wolfy inspire à son égard un sentiment proche de celui qu’un humain nous donnerait à ressentir.

Au-delà de la fable, L’armée des loups est un formidable instrument d’éveil à une réflexion sur l’absence de dimension morale dans la fabrique de notre destin, au niveau local, européen, international. Mais n’est-ce pas là une des fonctions de la fiction : projeter une lumière crue sur les pans les plus obscurs du réel ? 

Jean Jauniaux, le 18 septembre 2025 

Sur le site de l’éditeur:

«  Par une nuit du printemps 2035, dans un village forestier, un chasseur marginal tombe nez à nez avec un loup. Cette nouvelle déclenche une avalanche d’interrogations. Le loup serait-il de retour dans ce coin perdu ? Une meute est-elle en train de s’y établir ? Et, si oui, qu’en faire ? Faut-il, comme le souhaite le plus gros propriétaire terrien du canton, créer un ambitieux parc d’attractions animalier susceptible de redresser l’économie locale? Ou bien, comme le soutient le professeur Michalat, érudit un tantinet pédant et candidat à la mairie, détruire immédiatement cette créature du diable ? Tout cela n’aurait pas grande importance si un mystérieux centre d’essais militaire n’était pas installé à quelques kilomètres et si la Confédération européenne n’était pas au bord de la guerre…
Mais qui est donc cette charmante Elvire qui déboule au village sans crier gare ? »