Après Guerre et Térébenthine et Le coeur converti, les éditions Gallimard publient Une ascension , la traduction française du dernier roman de Stefan Hertmans, dont le titre original en néerlandais est De opgang. Le romancier gantois avait familiarisé déjà ses lecteurs avec cet art singulier qu’il développe de livre en livre: l’entrelacement de l’Histoire, de l’enquête journalistique, de la recherche historique et de l’invention romanesque.
Voici un roman essentiel, indispensable. Non seulement par la force de l’écriture, l’architecture narrative, le style (remarquablement rendu par la traduction d’Isabelle Rosselin), mais par la manière dont il remplit une des fonctions essentielles de la littérature: raconter (les épisodes les plus sombres de) l’Histoire en les incarnant dans la complexité humaine, en les situant à hauteur d’homme et de femme, en les replaçant en dehors de tout jugement a posteriori. Il faut lire et donner à lire Une ascension au public le plus large qui y découvrira la banalité du mal, personnifiée en Willem Verhulst, SS flamand dont, par hasard le romancier va acheter la maison gantoise que le collabo occupa pendant la deuxième guerre mondiale. A l’instar d’un Sebald, l’auteur de Guerre et térébenthine et du Coeur converti , va consacrer plusieurs années à assembler les sources qui lui permettront de raconter la sinistre destinée de Willem Verhulst: le livre que publie son fils Adriaan Verhulst , Zoon van pen « foute » Vlaming (« Fils d’un Flamand fautif ») , les journaux de sa femme, Mientje, ceux de sa fille Letta, mais aussi des visites des lieux (« pour laisser l’Histoire s’apaiser » note l’écrivain) et surtout des entretiens avec les deux filles de Verhulst, Letta et Suzy.
Il serait vain d’évoquer ici les multiples événements racontés par l’écrivain dans ce livre qui appartient à différents genres littéraires: l’auto fiction, l’essai, le nouveau journalisme, le récit, le roman. Il s’agit d’un ouvrage dans lequel l’auteur est à la fois conteur et protagoniste du récit d’une dérive à propos de laquelle il refuse de poser le moindre jugement. C’est ce qui fait de celui-ci un remarquable instrument de tolérance et de compréhension, indispensables pour évaluer le danger des poussées identitaires qui reviennent aujourd’hui en force.
Nous avons rencontré Stefan Hertmans et évoqué avec lui quelques aspects de l’écriture de ce livre majeur.
Jean Jauniaux le 16 février 2022.
Sur le site de Gallimard:
Se promenant dans sa ville natale de Gand un jour de 1979, le narrateur tombe en arrêt devant une maison : visiblement à l’abandon derrière une grille ornée de glycines, cette demeure l’appelle. Il l’achète aussitôt et va y vivre près de vingt ans.
Ce n’est qu’au moment de la quitter qu’il mesure que ce toit fut également celui d’un SS flamand, profondément impliqué dans la collaboration avec le Troisième Reich. Le lieu intime se pare soudain d’une dimension historique vertigineuse : qui était cet homme incarnant le mal, qui étaient son épouse pacifi ste et leurs enfants ? Comment raconter l’histoire d’un foyer habité par l’abomination, l’adultère et le mensonge ?
À l’aide de documents et de témoignages, le grand romancier belge Stefan Hertmans nous entraîne dans une enquête passionnante qui entrelace rigueur des faits et imagination propre à l’écrivain. Examen d’un lieu et d’une époque, portrait d’un intérieur où résonnent les échos de l’Histoire, Une ascension est aussi une saisissante plongée dans l’âme humaine.