A l’occasion de la remise du prix Emma Martin au romancier André-Joseph Dubois pour son roman « Le septième cercle », nous publions ci-dessous la présentation qu’en a faite son éditeur Olivier Weyrich, lors de la remise d’un autre prix à ce même roman, le Prix des Bibliothèques de la ville de Bruxelles. Nous avions, quant à nous, salué à différentes reprises l’envergure romanesque de ce livre remarquable et interviewé l’auteur.
Ces interviews sont toujours accessibles sur le site de « L’ivresse des livres »
Jean Jauniaux, le 15 décembre 2021
Présentation du roman « Le septième cercle » par l’éditeur Olivier Weyrich lors de la remise du Prix des Bibliothèques de la ville de Bruxelles (17 novembre 2021).
André-Joseph Dubois est né à Liège en 1946. Très tôt la langue française le passionne, gamin, il n’attendra pas qu’on lui apprenne à lire pour déchiffrer les phylactères des bandes dessinées qu’on lui met entre les mains… alors écrire, l’envie lui est vite arrivée. Tout logiquement, à 22 ans, il quitte l’Université de Liège avec en poche son diplôme de philologie romane. Université où il reviendra comme assistant pédagogique après un parcours professionnel d’abord dans l’enseignement secondaire puis ensuite dans l’enseignement supérieur à l’Académie royale des Beaux-Arts exactement. En 1981, André-Joseph Dubois publie son premier roman, L’Œil de la mouche chez l’éditeur Balland à Paris. (…). Son roman est alors salué par la presse. André-Joseph sort donc de l’anonymat à trente-cinq ans avec ce premier ouvrage qui joue déjà de la langue et la littérature au travers du parcours d’un fils d’ouvrier cherchant à se démarquer de son milieu d’origine par l’adoption des codes culturels bourgeois sans parvenir à s’intégrer à ce monde, dont il restera à tout jamais étranger.
En 1983, André rompt avec le classicisme apparent de L’Œil de la mouche par une écriture ostensiblement baroque ; il publie un deuxième roman Celui qui aimait le monde, toujours chez l’éditeur Balland. Mais cette année-là, c’est plutôt l’indifférence qui sera au rendez-vous. Sans doute un brin vexé, à tout le moins très déçu, Dubois l’écrivain quittera les radars pour ne réapparaitre que vingt-neuf ans plus tard ! …chez l’éditeur Weyrich. (…) C’est Christian Libens, devenu tout récemment directeur de la collection Plumes du Coq avec son complice feu Alain Bertrand, qui se met à la recherche du disparu. L’Œil de la mouche est resté un souvenir vif dans l’esprit de Libens, le passionné. Il débusque Dubois alors qu’il s’envole pour le Brésil. Surpris, hésitant, André-Joseph, sans doute curieux, finit par accepter une rencontre à son retour en Belgique quelques semaines plus tard. Libens a vu juste, son flair ne l’a pas trompé : André-Joseph Dubois est resté silencieux mais n’a jamais cessé d’écrire. Avec habilité et tact, le duo Libens-Bertrand parvient à sortir un premier roman des tiroirs d’André-Joseph Dubois.
C’est donc en 2012 que parait son troisième roman, Les Années plastique, chez Weyrich cette fois ! Un roman vif et caustique sur l’éternelle comédie de vivre. Ces Années plastique, celles des années soixante, ont la forme d’un monde neuf où les séductions de la société de consommation le disputent aux élans de l’engagement tiers-mondiste, féministe ou structuraliste. Ce nouveau roman dresse le portrait à la fois drôle et tendre de la génération d’une époque où tout semblait permis.
Le style de Dubois se confirme. Il fera de l’humour britannique un style qui le caractérise. Il devient maître de l’absurde et de l’autodérision. Il excelle même en 2017 dans Quand j’étais mort avec un narrateur, l’écrivain lui-même, est chargé d’explorer l’ordinateur de feu AJD, un auteur liégeois sans succès, par ailleurs spécialiste des Mérovingiens…
Entre temps, il aura publié Le Sexe opposé en 2013 et Ma Mère, par exemple en 2014 récompensé par le Prix Félix Denayer de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Il restera fidèle à son nouvel éditeur et ne confiera ses créations qu’à la collection littéraire « Plumes du Coq ».
Il se laisse écrire que c’est sans explication apparente qu’André-Joseph Dubois est resté silencieux durant presqu’un tiers de siècle… mais l’éditeur que je suis, son éditeur, croit savoir qu’un stress immense emporte l’auteur qu’il est, quand il a lâché un manuscrit, plus encore quand celui-ci est publié. Ce n’est pas la critique qui l’effraye, c’est l’indifférence qui l’agace. L’indifférence le tue ! Et quand cela survient, comme pour nous punir, il s’enferme dans le silence et préfère ne pas publier. Sa résurrection surprise en 2012 est donc un bonheur pour nous ! Lire aujourd’hui André-Joseph Dubois tient presque du miracle : reconnaissons à Christian Libens le mérite d’avoir convaincu l’auteur que nous célébrons aujourd’hui d’être publié à nouveau.
2020, annus horribilis, verra paraitre Le Septième Cercle, un récit magistral, portrait sans concession d’une franche crapule satisfaite de l’être. Léon Bourdouxhe est un homme déjà âgé, passablement usé, lorsqu’il entame sa confession. Un récit livré seize jours durant à une dame dont on ne sait s’il s’agit d’une journaliste, d’un juge ou d’un flic… Qu’importe. Léon est un vieillard, certes, mais qui n’a rien de désabusé… Du moins, ce sont là les apparences qu’il voudrait laisser. Son récit, c’est son panache. Une dernière bravade qu’il déverse presque obligeamment, dans une sorte de narcissisme jubilatoire.
Car Léon, c’est un destin. Une vie bien remplie, réellement extraordinaire. Mais dont on s’aperçoit très vite qu’elle s’apparente aux abysses noirs et cruels que l’âme humaine peut atteindre alors que tout la prédisposait à une vie normale et bien rangée. Dans une famille catholique prospère et se pensant… « bien pensante ». Affichant, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale déjà, une dilection sans scrupule pour les idées rexistes. Ce qui, rapidement, deviendra source de jalousies d’abord, et d’avanies ensuite.
Son destin, Léon s’y ancre lorsque jeune adolescent, il assiste plus passivement qu’activement à l’assassinat de Julien Lahaut. Là, à cet instant précis, il s’arrime à quelque chose. Une nature dont il ne prendra que progressivement conscience, dans une rocambolesque succession d’événements qui le guident de Liège en Algérie, puis au Congo belge et en Amérique latine… Une vie virile, marquée d’aventures et d’actions, de tribulations menées là où se jouent les épisodes et où se croisent les destins qui vont construire le XXe siècle. Tout un monde dont il se trouve le témoin, le complice, l’acteur et la marionnette. En fait, un univers de crapules, assumées et décomplexées, stipendiées selon les opportunités qui motivent les États occidentaux à cette époque…
Le Septième Cercle, c’est un récit magistral et sans concession qu’André-Joseph Dubois élabore avec le talent sublime qu’on lui connaît. Sans jamais nous donner un seul moment de déception. Avec, en amont, un travail considérable de recherche et de documentation, la plume se fait mordante, acérée, un peu à la Audiard. Un ton, des couleurs, des timbres qui façonnent un roman à la fois exaltant et profond ; une ambiance atypique, insaisissable où le malaise est épais et la tension palpable. Léon, ce parfait antihéros, décoiffe, dégomme, égratigne, heurte et choque. Le regard qu’il porte sur l’Homme et le monde est à la fois cynique, méprisant et pessimiste. Il ne perçoit aucune ouverture sur une quelconque résilience. Mais toute cette noirceur est pour lui banale. D’ailleurs, sa conscience morale s’en est à ce point accommodée qu’il affiche un certain détachement. C’est son quotidien, son fonds de commerce ; et il s’y meut avec aisance. Il y brille même. Le tout dans une parfaite désinvolture. Jusqu’à sa chute… lâché par de plus cyniques que lui.
Et pourtant, Léon, on s’y attache. Ses contrastes, ses paradoxes, l’enchaînement des événements qui le conduisent ; ses forces, ses faiblesses, son humour noir. Mais aussi les ‘espaces de salut’, des moments de grâce, de beauté et de tendresse dans les rencontres avec Hanna et avec sa mère. Ou encore sa coquetterie qui le pousse à étaler naïvement sa culture par le recours à des mots rares ou à des références historiques souvent confuses… Tout cela le rend finalement très humain. Mais surtout, devant cette déchéance sur laquelle porter un jugement pourrait s’avérer aisé, se pose une question : à qui profite le crime ? Cette société qui, pour notre plus grand bien, produit ces monstres et ces monstruosités, nous offre-t-elle vraiment la dignité, la liberté et l’harmonie ? André-Joseph Dubois nous interroge. Mais le vertige n’est jamais loin !
Avec son Septième Cercle, le style d’André-Joseph Dubois est un régal, une plume imparable, un regard dessillé, un humour décapant et une profondeur qui interroge. Le Septième Cercle, c’est du grand Art par un très grand auteur. (…)
Olivier Weyrich, 17 novembre 2021, Hôtel de ville de Bruxelles