Richard Miller est une figure singulière de la communauté culturelle belge francophone : ancien ministre de la culture et de l’audiovisuel, galériste, éditeur, cinéphile averti, conseiller au sein de son parti politique, ce docteur en philosophie ne déparerait pas dans un tableau de la Renaissance. Il est aussi écrivain. Sans doute est-ce dû à la multiplicité de ses activités, en matière de littérature de fiction il a principalement publié des nouvelles.
Un recueil récent réunit (aux Editions du CEP )- sous le titre Séquestrés et autres nouvelles– 33 textes dont 24 ont déjà fait l’objet de publication (notamment dans le recueil Adulte terre paru naguère à l’enseigne, aujourd’hui disparue, des Editions Wilquin et dans la revue Marginales).
Parmi les inédits, une des nouvelles (Et si Judas sort se promener ce soir) s’inscrit dans un « Cycle » portant le nom du personnage principal, Jacques Marietti, un policier montois qui a toutes les qualités pour devenir un vrai personnage récurrent, et faire l’objet d’un volume à lui dédié.
Quant à la nouvelle-titre, Séquestrés, elle fait partie des textes inédits. D’écriture récente elle évoque, à travers un fait-divers et un personnage imaginaires, le phénomène me too mais aussi la traversée des apparences et la fragilité des protagonistes dont Miller a l’art de débusquer la complexité.
On retrouvera aussi dans ce volume des nouvelles très brèves qui sont comme autant de fables modernes traversées comme l’ensemble du volume par quelques lignes de force : la fragilité des êtres blessés (par un handicap, par le destin), le combat politique (l’européen ou le belge), les lieux (Mons, le Hainaut, le Borinage). Par certains interstices, des éléments inspirés de la vie de l’auteur viennent donner un éclairage plus intime, plus intense aux récits imaginaires ; l’actualité aussi s’invite comme celle des attentats terroristes de Zaventem et Bruxelles et celle du Brexit.
L’incipit de la première nouvelle du recueil est identique à celui de la dernière nouvelle, dont il est le déclencheur. Inutilement inutile. Ces deux mots ouvrent Tadeusz et l’ « essai d’autobiographie imaginiste » que l’on est heureux de retrouver en clôture du livre MOËLLE RITALE. De cette nouvelle, premier chapitre d’une autobiographie à venir, nous avions déjà dit toute la puissance stylistique dans un article paru dans Livraisons.
Nous retrouvons à la lecture renouvelée de ce texte le même engouement à découvrir la force que l’écrivain se donne en transformant la langue de l’écriture, comme d’un boulet de charbon du Borinage jaillit le rouge vif du feu. Ce feu qui anime aussi la flamme d’un Européen convaincu. Ainsi passant de l’union européenne (Tadeuzs) à l’intime révélation de l’enfance (Moelle Ritale), Miller, l’humaniste libéral, fait la démonstration de l’universalité sensible de la littérature.
Jean Jauniaux, le 14 décembre 2021