Une exposition rayonnante de la peintre Yvette Lichtfus au Centre d’art du Rouge-Cloître à Auderghem (Bruxelles-Belgique)

A voir jusqu’au 27 juillet 2025…

Samedi 28 juin : visite guidée à 14h00!

Pour celles et ceux qui comme moi ont eu le privilège de connaître Yvette Lichtfus, mais surtout d’échanger avec elle à propos de son art, nombreux sont les sentiments qui affleurent lorsque l’on visite cette exposition. En premier lieu elle est, comme l’affiche qui l’annonce, à l’image de l’artiste: une invitation à entrer dans la lumière d’une inspiration inépuisable. Depuis les premières toiles, jusqu’à la reconstitution de l’atelier de l’artiste, tout est lumière, cette lumière que l’artiste comparait dans un de ses écrits, « à l’enfant qui sourit ». L’exposition est à l’image de l’artiste qui y est partout présente. Comme si, nous regardant regarder ses œuvres, Yvette Lichtfus se tenait à côté de chacune des œuvres, ouvrant les bras, la main qui tient la palette, celle qui tient le pinceau, dans un geste d’accueil. Et nous entrons alors dans la bonté d’un regard, – celui de son maître Prosper de Wit– , dans un geste ancestral , dans la lumière d’un jardin d’été, dans l’allégresse de deux enfants qui se tiennent par la main pour courir sur le chemin dans les taches de soleil, dans la quiétude d’un bord d’étang où nous attend une barque.

S’agissant d’un parcours chronologique, on ne peut passer sous silence l’obstination d’une jeune femme à imposer à ses parents sa vocation d’artiste et sa résolution à consacrer sa vie à son art… dans une société où s’affirmer de la sorte exige une énergie inépuisable de la part d’une jeune fille que la tradition d’alors n’autoriserait pas à s’affirmer ainsi. Peut-être est-ce de ce combat initial que lui vient ce constat : « l’art est une guerre éternelle », mais aussi celui-ci : « cet art silencieux si difficile à communiquer parce que chaque toile devait être lue et sentie comme on écoute une musique » (25 octobre 1977) 

En revoyant ici les tableaux réunis sous des catégories à la fois liées à la chronologie, aux sources d’inspiration et aux genres, natures mortes, portraits, paysages, marines on est tenté d’y chercher des lignes de force qui vont au-delà des genres et nous rapprochent de l’artiste, de sa personnalité hors normes, de ses valeurs.

Il y a tout d’abord l’obstination angoissée de créer, de se donner pleinement à son art quels que soient les sacrifices que cela implique.

Le livret accompagnant le film « Les palettes du coeur » (réalisé avec Martine Barbé, fille de l’artiste, avec Florence Gillet, sa petite-fille, et le cinéaste Roger Beeckmans) s’accompagne d’extraits de cahiers de notes que l’artiste consacrait, au jour le jour, à l’avancement de son travail. Il n’est pas un jour où elle ne s’interroge, où elle ne doute, mais surtout, on elle ne s’émerveille de pouvoir transfigurer ce qu’elle contemple en une inépuisable palette de couleurs et lumières. Les nombreux écrits Yvette Lichtfus en témoignent : l’art vous laisse sans repos, vous assaille sans cesse de ses appels anxieux, vous réclame auprès de la toile. Ils sont les témoins d’un choix constamment répété entre la vie et l’art. Aucun artiste n’échappe à ce déchirement du cœur et de la raison.

Yvette Lichtfus parcourt son chemin d’artiste qui longe celui de la vie, qui va s’en nourrir, qui va s’en inspirer comme si l’artiste demandait à ses proches de comprendre que l’art est plus fort qu’elle et qu’elle ne peut vivre sans ce « maître » -la. Elle peindra inlassablement ses enfants, ses petits-enfants ses petits-enfants, son mari comme pour leur dire : « Vous voyez vous êtes partout en moi à tout instant ». 

En visitant l’exposition au moment de l’accrochage des toiles, de la mise en place des esquisses, des aquarelles, des chevalets de campagne, des tubes et des palettes de couleur, je n’ai pu m’empêcher de repenser à cette angoisse récurrente de l’artiste qui doute de réussir ce en quoi – l’exposition nous le montre – elle a pourtant excellé chaque fois : douer de vie l’instant, la nature, et, par-dessus tout, ces représentations de scènes de famille au cœur de laquelle chacun chacune de nous est invité à la rejoindre. Jusqu’à entrer au cœur de l’œuvre : l’atelier où elle trouvait chaque jour la réponse à son angoisse qu’elle formulait en citant Rilke : « Il y a une vieille inimitié entre la vie et les tâches majeures ». Un lieu aussi inspirant que le Rouge Cloître ne pouvait être meilleur réceptacle. 

Jean Jauniaux

Sur le site du « Rouge-Cloître » :

Yvette Lichtfus (1925-2014). Peindre l’instant qui passe.

Yvette Lichtfus est une dessinatrice et peintre belge, née à Arlon. Sa rencontre avec le peintre anversois Prosper de Wit, “son maître” comme elle l’appellera sa vie durant, dans un refuge lors d’un bombardement en 1940, sonne comme un appel clair à la vocation artistique.   Elle débute son enseignement, l’année suivante, à l’Académie de Bruxelles, où, plus que la peinture, elle s’exerce avec talent aux techniques du fusain et de la mine de plomb. Cet apprentissage, bien qu’assuré dans un contexte d’occupation, lui vaut de fréquenter les ateliers d’Henri Van Haelen et plus tard, d’Alfred Bastien, artiste bien connu de Rouge-Cloître.  Dans le foisonnement artistique de la Belgique, Yvette Lichtfus trace sa propre voie : celle-ci refuse d’« appartenir » à un mouvement, par crainte, dit-elle, d’y « perdre sa liberté ». Pourtant, son œuvre laisse transparaître une profonde affinité avec la tradition des maîtres de la peinture flamande, et résonne sensiblement avec le post-impressionnisme de son temps.  Son œuvre s’inscrit également dans un courant belge plus méconnu : le « luminisme ». Cette tendance, dérivée de l’impressionnisme français, se distingue par ses jeux de clarté, ses couleurs baignées de lumière et son ancrage réaliste dans le choix des sujets.  
L’art d’Yvette séduit, comme en atteste une médaille d’argent décernée en 1948 au Salon des Artistes Français à Paris pour l’œuvre « La Bonnetière », quelques années seulement après le début de sa formation. Sa production artistique s’étend sur une période remarquable, allant de 1941 à 2012, soit 70 années de création ininterrompue. Tout au long de cette vie consacrée à l’art, elle s’est engagée pour la reconnaissance du statut d’artiste, abordant également dans ses œuvres des thématiques sociales et politiques qui lui étaient essentielles, comme illustre « Hommage aux opprimés », une toile d’un mètre cinquante de haut, peinte en 1986.  Les paysages et vues forestières constituent une part importante de son œuvre à laquelle s’ajoutent, plus tard, l’art du portrait et les natures mortes. Crayon, pinceau et pastel se veulent être les témoins d’un héritage impressionniste au service du temps et de l’instant qui passe. Ces outils, elle les emportait avec elle lors de ses balades à Rouge-Cloître, où, d’ailleurs, elle exposa à trois reprises.  

Enfin, le langage pictural qui marque profondément les œuvres d’Yvette Lichtfus se révèle tout particulièrement dans ses scènes de vie familiale, empreintes d’intimité, ainsi que dans ses vues paysagères. S’y déploie ainsi un sentiment de proximité, « une quête des lumières et de l’émotion au naturel ». 

Cette exposition rétrospective, réalisée en collaboration avec la famille de l’artiste, espère remettre la lumière sur le travail de cette artiste qui aurait fêté, cette année, son 100ème anniversaire. 

L’exposition « Yvette Lichtfus » est accessible du 13.06.2025 au 27.07.2025, du mercredi au dimanche de 13h à 17h.

À  l’occasion de la Fête de l’été organisée par la Maison du Prieur sur le site de Rouge-Cloître le samedi 28 juin, le Centre d’Art organise une visite guidée gratuite de l’exposition à 14h00. Inscription obligatoire : edurougecloitre@gmail.com. Ce jour-là, horaires exceptionnels : 11h00-18h00 et entrée gratuite pour tous les visiteurs.