Pierre Mertens ou la quatre-vingtaine…

Le 17 novembre 2019, La Fleur en papier doré, lieu mythique s’il en est de la vie littéraire belge, accueillait Pierre Mertens pour y célébrer son quatre-vingtième anniversaire. Les Editions Le Taillis Pré et leur fondateur-directeur le poète Yves Namur, viennent de publier les interventions des amis du romancier lors de cette soirée. Outre celles-ci, le lecteur découvrira Une lettre à Franz Kafka, un texte original et inédit de l’auteur de Perasma. Il y évoque celui qu’il désigne « l’écrivain absolu ». Celui qui lui inspire cette adresse: « Aurais-tu changé ma vie alors que j’émargeais à peine de l’enfance? Mais non. Tu l’auras simplement, une fois pour toutes, révélées à elle-même ». Cette lettre avait été diffusée dans l’émission Par ouï-dire » de Pascale Tison.

Jacques De Decker évoque le « croisé de la littérature »

Nous apprendrons aussi dans ce livre l’importance singulière de La fleur en papier doré dans la destinée littéraire de Pierre Mertens qui, prenant la parole devant ses amis rassemblés, s’interroge sur le choix de ce lieu pour fêter ses quatre-vingts ans: « Au fond un miracle ne vient jamais seul, puisque c’est peut-être l’endroit et l’époque où j’ai posé mes premiers pas d’écrivain ». Le lecteur découvrira en quelles circonstances…

L’occasion nous est donnée aussi de découvrir (ou redécouvrir , puisque le texte a été lu par son auteur dans l’émission Par Ouï-Dire de Pascale Tison) Au claire de lune un texte émouvant de Pietro Pizzuti, inspiré par l’amitié et l’admiration fraternelle que lui inspire son « ami Pierrot » invité à ne jamais cesser de prendre la plume, car « il <lui> reste tant à écrire qui pourrait nous sauver…de l’ignorance, du malheur d’être né sans faculté d’apprendre, des méfaits de la bêtise et de la médisance, du désastre de l’intelligence lorsqu’elle est asservie et de la pensée perverse proclamée d’intérêt général, de l’aveuglement destructeur du dogme et de son fanatique fantasme (,…) ».

Yves Namur évoquant « l’agent double »

Le lecteur découvrira les mots d’accueil d’ Agnès Triebel qui évoquera bellement « un homme qui a la passion de la passion ». Quant à l’ami Sojcher observera qu’avec Pierre, ils sont « les plus anciens amis qui soient encore en vie ». Guy Scarpetta affirmera dès l’ouverture de son intervention: « Pierre Mertens n’est pas le plus grand écrivain belge vivant – il est l’un des quatre ou cinq plus grand romanciers vivants dans le monde. » et qui évoquera  » quelques livres dont la lecture aura été un événement: Les Bons Offices, Perdre, Les Eblouissements… Peter Lombaert conclura la soirée en disant sa fierté d’accueillir la quatre-vingtaine de Mertens dans ce lieu qu’il a sauvé, et qui « a été le lieu où Hugo Claus avait choisi de fêter son premier mariage, où Hergé a dessiné la première fois Tintin, (…) où le mouvement Cobra est né et où Pierre Mertens a fait ses premiers pas d’écrivain. » Sans oublier, bien sûr, l’évocation par Anne Czupper des chants du folklore yiddish qui ont scandé la soirée, dont le premier débute par ce vers : Comme ce temps de ma jeunesse est passé vite…

Cette recension serait incomplète si elle n’évoquait les interventions d’Yves Namur et de Jacques De Decker.

Le premier, qui est aussi l’éditeur du livre, identifie chez Mertens la qualité d' »agent double », un « romancier dédoublé en homme engagé pour les causes qui devenaient <siennes> ». Yves Namur souligna avec justesse combien Mertens, « comme Malcolm Lowry, <est> passé maître dans l’art de décrire et sonder avec finesse et subtilité, les trubles et les tourments de nos âmes…et leurs états. ».

Le second, le regretté Jacques De Decker, même si « prendre la parole après l’une des plus belles choses que j’aie entendues et vues ( un morceau de musique Kletzmer venait d’être interprété ) est malaisé, mais puisque l’on m’y force… », évoque ce qui est « le propre de Pierre: il est un croisé de la littérature. (…) ». Evoquant le Théâtre Poème, Jacques De Decker propose une de ces définitions fulgurantes dont il avait l’art: « Si la littérature sert à quelque chose, c’est à créer une espèce de religion, quelque chose qui relie les gens entre eux, de la liberté absolue, l’imagination et la pensée. » Avec la générosité qu’on lui connaît, Jacques De Decker salue l’oeuvre « qui n’a été qu’insuffisamment réellement étudiée (…) or elle le mérite. » Il évoquera aussi la biographie que Jean-Pierre Orban a consacré au romancier (« évocation à deux voix ») que nous avions commenté déjà ici.

Un enregistrement video de l’ensemble de la soirée dont ce livre est le témoin, est accessible sur Vimeo.

Ce livre court trouvera sa place dans la bibliothèque de celles et ceux qui ont par lui l’occasion de partager le jubilé d’un grand écrivain dont aucun livre ne laisse indifférent.

Jean Jauniaux, août 2021.

Nous avons interviewé à de nombreuses reprises Pierre Mertens. Ces interviews à propos de chacun de ses romans, mais aussi à propos de quelques grandes figures littéraires (Simon Leys, Gunter Grass, Charles Plisnier…) se trouvent sur le site de « L’ivresse des livres »

Sur le site de « Livraisons » figurent également l’interview de Jean-Pierre Orban à propos de la biographie « Le siècle pour mémoire » , l’interview à ce propos de Pierre Mertens et de l’éditeur de l’ouvrage Benoît Peeters.