Ce journal est précédé d’une préface éclairante de Raphaëlle Branche, professeure d’histoire contemporaine à l’ISSP (Institut des Sciences sociales du politique) de l’Université de Paris Nanterre, à qui l’on doit de nombreux ouvrages consacrés à la guerre d’Algérie. On lui doit ainsi une enquête exemplaire qu’elle publia sous le titre « Papa, qu’as-tu fait en Algérie? » (Editions La Découverte, Paris, 2020). Elle identifie clairement ce qui fait du journal du jeune Michel Leperre un témoignage « sur la lucidité du jeune homme qu’il fut et la réalité terrible de la guerre ordinaire (…) ». Deux récits s’entrecroisent: le journal, relatant au quotidien les quinze mois d’Algérie et la correspondance que le conscrit adresse à ses parents et dans laquelle il dissimule la réalité pour en donner une version rassurante.
Le journal est hanté par les doutes que lui inspirent l’expérience de la guerre, la responsabilité de la France, la difficulté de nouer des relations humaines hors de la cruauté et la violence. Et puis lancinante et souterraine la conscience de plus en plus aigüe de la déshumanisation et l’amoralité des combats, des embuscades, des destructions, de la torture…“Me voilà officier d’action psychologique. La plaisanterie est plutôt sinistre et je ne sais pas encore ce que je vais faire” écrit-il.
Heureusement l’amitié est là qui survient avec l’arrivée de Christian Biot, un séminariste qui deviendra » l’ami le plus cher de sa vie »et Yves Bruant, un ami d’études. A ces deux-là, le livre est dédié.
L’ouvrage est agrémenté d’une iconographie très riche: photographies du quotidien, cartes, fac similé de courriers, articles de journaux, affiches etc guident le lecteur au travers des lettres et des pages du journal. Michel Leperre a également mené de nombreuses recherches au Service historique de la défense, qui lui ont permis de contextualiser les événements dont il rend compte, dans son journal, d’un point de vue immédiat et dans ses lettres, en s’arrangeant avec le réel pour l’adoucir.
Aujourd’hui, ce livre, nous donne un témoignage individuel sur l’expérience d’une guerre inscrite dans les livres d’Histoire. Il est un instrument irremplaçable de la mémoire, cette faculté tellement fragile qu’elle doit sans cesse être consolidée par des livres comme celui-ci. Simone Weil disait ne pas aimer le « devoir de mémoire ». Elle lui préférait « le devoir d’enseigner et de transmettre ». Michel Leperre, par ce livre et le travail considérable qui lui a permis de le réaliser, contribue à cette triple tâche, toujours inachevée, toujours indispensable.
Jean Jauniaux, le 10 août 2021
« Appelé sous les drapeaux au sortir de l’ESCP, Michel Leperre, avec son condisciple Yves Bruant, classe 1955/2B comme lui, intègrent l’École des Officiers de Saint-Maixent et, pour rester ensemble, choisissent au hasard la même affectation : le 35e Régiment d’infanterie. Cette affectation les conduira dans un secteur du Nord Constantinois particulièrement difficile. Ils participeront ainsi, malgré eux, pendant de nombreux mois à la guerre d’Algérie.Michel Leperre rencontre et se lie d’amitié avec Christian Biot, séminariste dont le charisme, le courage, la droiture et la simplicité le marquent particulièrement, devenant l’ami le plus cher de sa vie.Tout au long de ce séjour algérien, Michel Leperre tient son journal et y relate en particulier les comportements odieux de certains militaires prouvant par-là que la torture était systématique et ne se limitait pas à la bataille d’Alger.Ces témoignages ne plairont pas à sa hiérarchie qui ira jusqu’à perquisitionner ses affaires ! Parallèlement, il entretint une correspondance sérieuse avec son père dont les prises de position politique entraîneront entre eux une opposition déclarée.Contrairement à ce qui était claironné en haut lieu, la situation générale était mauvaise, même sur le plan militaire: les patrouilles ne se faisaient plus qu’à deux sections, certains postes avancés étaient abandonnés, les mâles algériens avaient disparu des mechtas…Aujourd’hui, ses deux camarades, Bruant et Biot, auxquels il était intimement attaché, malgré l’éloignement de la vie, sont décédés. Ils méritaient bien qu’on parle d’eux ! »