« Démocratie? » est le troisième volume d’une trilogie dont les premiers titres étaient « Liberté » (2017) et « Egalité » (2020). On aurait pu attendre le titre « Fraternité » que Guy Walch n’a pas choisi et qui aurait inscrit ce trinôme dans le sillage de la devise de la république française.
Dans la présentation du livre que nous en donne l’auteur sur son site, nous percevons non seulement le cheminement de la réflexion du philosophe, mais également combien celle-ci est d’une actualité vive et renouvelée, quels que soient les événements du monde contemporain (pandémie, confinements, démocratie bafouée aux USA etc) qui assaillent l’actualité avec une violence incessante.
Que nous dit Walch?
« C’est parce que toutes les choses — dont les hommes — sont de teneur égale par leur singularité naturante que dans l’existence leur champ de l’altérité peut sans cesse s’élargir en élevant progressivement la coopération des simples niveaux utilitaires (les écosystèmes des niveaux les plus simples aux plus complexes) vers la richesse des rencontres et les passions joyeuses qu’elles procurent (l’amour des autres). En revanche, lorsque l’individualisme occulte ou ignore le caractère naturant de la singularité, qu’au sein du sujet le moi-je centripète domine et justifie ses replis sur soi incessants par des récits illusoires et inadéquats, les passions tristes l’emportent. La peur, les faux espoirs et le rejet de l’autre réduisent le champ de l’altérité à des cercles de plus en plus concentrationnaires ou à l’effondrement solipsiste. Ces quelques fondements directeurs doivent être entendus, pas nécessairement adoptés, pour juger de mon essai. La notion de liberté spinozienne — de moins la lecture que j’en fais — est indispensable pour comprendre l’angle d’attaque des thèmes envisagés. »
Cet essai passionnant. Nous recommandons au lecteur de ne pas se décourager à l’entame de la lecture (les premiers chapitres sont davantage « conceptuels » et donnent les outils philosophiques – spinoziens – sur lesquels Guy Walch prend appui pour formuler sa pensée ) et d’explorer avec attention les chapitres s’articulant autour de la réalité géo-politique, sociologique et humaniste qu’observe l’auteur avec une acuité stimulante. Ainsi les chapitres La démocratie d’une élite, Savoir et liberté, L’individualisme, pour ne citer qu’eux, offrent un éclairage original et sensible, érudit et intransigeant.
L’ouvrage de Guy Walch complète les deux premiers volumes, « Liberté » et « Egalité », faisant de cette trilogie une exceptionnelle boîte à outil pour celles et ceux qui aspirent à contextualiser les innombrables fragments d’informations, qui nous parviennent de toutes les origines et sous toutes les formes.
Voici la manière dont l’auteur expose son projet:
« »Démocratie » expose une conclusion pratique aux deux premiers ouvrages publiés « Liberté et Égalité ». Ces derniers abordaient les conditions de possibilité d’une liberté authentique par le savoir adéquat (« Liberté ») et l’unité substantielle des modes spinoziens comme fondement logique certain des formes sociales de l’égalité entre humains (« Égalité »).« Démocratie ? » aborde l’avenir de la démocratie dont il constate la grande fragilité des institutions confrontées aux défis du futur. Défis commensurables à l’écosystème terrestre global et à sa complexité exponentielle. Les humains s’y retrouvent désorientés par une rupture abyssale entre nature, science et société et au repli de cette dernière sur des nationalismes et des particularismes fermés. En Occident, tant les individus que les nations cherchent éperdument à conserver en propre les valeurs et les concepts qui avaient assuré à l’homme d’être « la mesure de toute chose ». En dépit du fait qu’aujourd’hui la complexité leur prescrit « l’incertitude comme accompagnatrice la plus fiable du savoir » (Finetti).En dépit aussi de toutes les idéologies du passé qui restent indigentes à se mesurer à une telle complexité du fait même qu’elles imposent des certitudes de plus en plus simplificatrices qui ne peuvent à terme que conduire à une dangereuse impéritie, marchepied des tyrannies. Plutôt que de s’épuiser à amender cas par cas les institutions et leurs modes de fonctionnement, la priorité est ici de s’atteler à réformer globalement « l’idéal du débat public » tel qu’en appelle Amartya Sen. Seule une recherche prioritaire des modes de délibération constructive à tous les niveaux de la société — peuples et institutions — peut faire vivre et grandir une démocratie viable. » (Guy Walch, extrait de son site)
A la manière d’Edgar Morin et d’autres penseurs du monde, Guy Walch est un éveilleur de conscience, s’inscrivant de plain-pied dans le sillage des philosophes lanceurs d’alerte, dont les avertissements sont autant de signaux d’alarme que d’appels à un monde où la « concordance prévaudra sur la contention » comme il y fait appel en conclusion de son ouvrage, espérant voir apparaître « à un horizon mouvant, une nouvelle Renaissance de l’humain, animée par plus d’ententes entre toutes les choses singulières et donc par la primauté de la concordance sur la contention. »
Et comment ne pas abonder dans le sens du philosophe, en cette période où la culture est, sans honte, assimilée aux biens non essentiels (!), lorsqu’il écrit: « Les premiers pas sur le chemin de la réforme nécessaire de l’esprit commencent impérativement par une rencontre entre les grandes cultures du monde. Une rencontre où d’emblée la synthèse n’est pas privilégiée, mais l’analyse des intervalles – intervalles des langues/pensées, des cultures, des arts et des coeurs – en vue de la meilleure concordance possible. Pas l’unisson à tout prix, mais un riche contrepoint toujours inachevé. Pas à pas, dans la poussière du chemin. »
Les trois livres de Guy Walch sont publiés chez L’Harmattan. Nous avions évoqué le premier volume « Liberté » lors d’un entretien entre l’auteur et Jacques De Decker. Cet entretien, enregistré chez le philosophe en 2018, est accessible sur le site « L’ivresse des livres ».
Jean Jauniaux, le 17 janvier 2021
Présentation de l’auteur sur son site
Guy Walch,
Né le 21/01/1933 à Zürich, Suisse – nationalité suisse. Marié, 3 enfants, 7 petits-enfants. Études primaires et secondaires en Belgique entre 1939 et 1951. Philosophie et théologie à Fontainebleau et Lille (facultés catholiques) jusqu’en 1955.Responsable des rayons de philosophie, théologie et sciences (assortiment et vente) à la Librairie de l’Édition Universelle de 1957 à 1962.Diverses fonctions éducatives, techniques, commerciales et de direction de 1962 à 1992 chez IBM (dernière responsabilité : directeur général adjoint d’IBM-Belgique). Deux affectations à l’étranger : USA et France.Depuis 1992, retraite consacrée à l’étude et l’écriture : philosophie, sciences naturelles, sciences sociales et environnementales. Rédaction de nombreux textes de philosophie, d’analyses des évènements géopolitiques et d’histoire contemporaine et d’autobiographie intellectuelle. Liberté est le premier ouvrage publié chez L’Harmattan en décembre 2017. D’autres textes sont en cours d’écriture.