En cette période où le radicalisme et le terrorisme ont fait sombrer dans l’oubli provisoire les grands mouvements migratoires qui faisaient la une au début de l’automne, le spectacle de Carmela Locantore est autant historique qu’actuel. A travers l’évocation des migrants italiens des années 50 dans le Borinage, la comédienne-auteure redonne la parole à ses parents, et à travers eux à chacun des migrants, d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Son spectacle se donne le 9 décembre au Théâtre des Riches Claires à Bruxelles. Nous avons rencontré cette personnalité entière et attachante, qui a travaillé avec les plus grands metteurs en scène de Belgique.
Edmond Morrel, le 3 décembre 2015
Sur le site de Carmela Locantore :
21, R U E D E S R O S E S
Il y a deux ans, je me suis mise à l’écriture. Je désirais rendre hommage à ceux qui habitent mon esprit : mes parents.
Après la recherche de bien des titres je lui ai donné l’adresse de la maison familiale : 21, RUE DES ROSES
NOTE D’INTENTION
Par la magie de l’acte théâtral, je fais revivre un temps suspendu, celui de l’enfance où mon existence se résumait, à observer les comportements des membres de ma famille et principalement ceux de mon père et de ma mère.
Comme ces raconteurs d’histoires, « Cantastorie », « Carrettieri », qui parcouraient le sud de l’Italie en solitaire, en passant d’un village à l’autre, et plus au Nord, les « troubadours », j’ai choisi de me donner la possibilité de continuer à pratiquer l’art de la transmission en voyageant léger.
De l’écriture à la mise en scène, je visualise tout ce dont j’aurai besoin, pour partir en tournée avec rien de plus que ce que peut contenir une simple valise à roulettes.
Cela fait plusieurs années que je caresse le projet de témoigner du quotidien de ma famille ; des émigrés italiens.
Nous vivions dans une cité nouvelle construite vers 1955, qui remplaçaient les baraques en tôles ondulées, qui avaient servis de campement pour prisonniers allemands et Russes au sortir de la 2ème guerre. Cette cité était principalement habitée par la masse des travailleurs étrangers venus en Belgique, extraire le charbon pour moins cher à la journée que les autochtones.
Il y a plus de 30 ans, Toni SANTOCONO, italien de la deuxième génération, comme moi, qui avait décrit cette vie dans les baraquements de la Louvière, et auprès duquel je m’insurgeais de l’absence de tout discours féminin dans son livre « RUE DES ITALIENS », m’avait répondu : « Mais écrivez, vous aussi, les filles, faites entendre votre voix ! ».
Le travail d’écriture ordonne un esprit de synthèse. Je cherchai une continuité logique dans le déroulement des scènes entre mes fantasmes et les descriptions de la réalité de ce qui fut. Au fur et à mesure que j’avançais dans mon récit, j’étudiais le texte. Si une phrase, un mot ou même toute une page, empêchait la compréhension immédiate d’une séquence, je la coupais. Je corrigeais inlassablement l’écriture des plans, des images en me mettant à la place des spectateurs.
J’ai repris la formule qui m’avait si bien réussi lors de l’expérience en solitaire que j’ai vécue de 2007 à 2013 avec le monologue « UNE PASSION » que j’avais adapté du roman de Christiane Singer : un lieu, un texte et une actrice et j’ai réalisé : « 21, RUE DES ROSES ».
L’HISTOIRE
Une femme : Cariatidè, pénètre l’espace des spectateurs. Elle les regarde et leur sourit… un peu comme si elle les reconnaissait. Quand enfin elle prend la parole, elle devient intarissable. Elle se raconte, elle, l’autre, son amour de la nature.
Soudain, traversée d’un grand éclat de rire, parce qu’elle vient d’emprunter au XIXème siècle un langage inusité de nos jours, elle rassure le public : – Je vous ai fait peur ! Vous vous êtes dit : celle-là, elle va parler comme ça longtemps ?
D’un mot naît une mélodie : – Ah ! La voici, la voici, la voilà, celle que mon cœur aime… Ah ! La voici, la voici, la voilà, celle que mon cœur aimera… Au vert bocage etc. ». Et elle parvient à faire chanter le public, en même temps que tourbillonnant sur elle-même, son ample jupe se déploie en corolle autour de sa taille… : – Je suis une fille, je suis une fille ! S’émerveille-t-elle. Sa robe tombe au sol.
Dessous une autre robe qui fait apparaître un nouveau personnage, sa mère.
Par le geste d’une cigarette qu’on allume, elle lui donne un compagnon : son père.
Et pour les besoins de sa cause, elle les baptise, Arlequin et Colombine.
Et voilà que des méandres de sa mémoire surgissent une foule de personnages sur fond de paysage minier ; des terrils, des prairies, des maisons en briques rouges, la cité ouvrière construite après la deuxième guerre en 1950 : La Grande Chènevière. Une cité nouvelle, où Arlequin et Colombine achetèrent à crédit une maison proche des Charbonnages d’Amercœur. Là où un beau matin du 8 août 1956, « la Catastrophe du bois du Cazier » révéla au monde occidental, les conditions désastreuses dans lesquelles des mineurs descendaient au fond – D’ins’ l’ fosse… dans le trou.
Elle décrit les chemins, les ruelles, les fossés, les vaches et les taureaux qui lui faisaient si peur ; les voisins : belges, grecs, hongrois… Les épicières, Clara, Fernande. Elle nous parle de la lutte des classes, des mineurs belges évincés par la stratégie du patronat qui alla chercher à l’étranger une main-d’œuvre moins chère que celle du pays.
Elle dit le racisme des émigrés entre eux, qui cohabite avec la « légitime » xénophobie des autochtones.
Elle dit le sentimentalisme larmoyant des buveurs de bière, la crainte du redouté « agent de quartier » – Monsieur Delpire : – Gare à la frontière, Camarades ! Se plaît-il à menacer d’un doigt les garçonnets qui jouent au ballon près du jardin de la femme de l’employé communal, qui a bien voulu venir vivre avec eux, pauvres belges, dans cette cité pleine de « Macaronis ».
Elle se remémore les dégâts causés par la mentalité de certains émigrés, qui gâchaient la vie des autres à force de vouloir maintenir des traditions obsolètes par la peur des commérages et du « qu’en dira-t-on ».
Et voilà que des mots nous parvient l’odeur – des rigatonis lourdement chargés de parmesan et tout dégoulinant de sauce tomate…
Et elle chante, elle chante, la conteuse, en même temps qu’elle pétrit de la farine mêlée d’eau.
Sous l’œil des spectateurs elle fait une boule de pâte. Et tout en continuant son récit, il en sort des – orecchiette ! – comme on appelle cette forme de coquillettes dans les Pouilles, d’où elle est originaire.
Elle raconte que lorsque Colombine évitait de donner un baiser à Arlequin, le dimanche devant ses enfants quand elle égouttait les pâtes au-dessus de l’évier, par ce seul mot qu’elle lui lançait – fanatico – son père se transformait aussitôt en statue de sel.
Pendant toute la durée du spectacle, elle recherchera la signification, ancestrale, souterraine et secrète de ce mot – fanatico, fanatique ? Une définition lui sera donnée par un couple de pêcheurs calabrais dont elle brosse un savoureux portrait.
Au final, un spectateur privilégié parmi le public, recevra les « orecchiette », emballées dans un carré de tissu, en même temps qu’elle lui dira la recette pour pouvoir les déguster tranquillement chez lui.
L’ESPACE SCÉNIQUE
L’espace du jeu est le protagoniste de ce spectacle : c’est-à-dire que j’applique une méthode qui consiste à investir un lieu, lui donner vie sans le transformer, en y ajoutant les quelques éléments dont j’ai besoin pour la représentation.
LE DECOR
Une table
Deux chaises
Un seau
Deux hauts tabourets…
Que je trouve dans le lieu qui m’accueille.
J’arrive dans le lieu la veille ou le matin même de la représentation. Je cherche dans les bureaux, les remises, les arrières salles et parfois même dans les poubelles ce qu’il me faut pour créer un décor.
Avec le régisseur du lieu s’il y en a un, nous nous préparons à la représentation : lumière, espace…
Si d’aventure, je ne trouve pas ce qu’il me faut pour mener à bien la représentation, j’adapte ma mise en scène et mes mouvements à la structure de la scène.
LES ÉCLAIRAGES
Le théâtre doit être entièrement éclairé pour que l’actrice puisse dès l’entrée être en connivence avec le public : un plein feu dans l’espace spectateurs et scène.
Dès que l’actrice accède à la scène, le régisseur éteint la salle et éclaire le plateau d’un rond de lumière au centre.
Jusqu’au salut, aucun changement de lumière n’est prévu.
Elle entre dans cercle de lumière, diamètre 2.
Les déplacements vers la coulisse se font dans ce que le cercle laisse de lumière.
LA BANDE SON
S’il y a un régisseur c’est lui qui envoie la musique de la régie, si pas c’est l’actrice qui allume et éteint un simple lecteur de CD portable.
La bande son se compose de 3 CD.
1. Musique de chansons italienne pour l’entrée du public.
2. À l’entracte même chose.
3. Au salut : une chanson napolitaine.
Et tout le long du spectacle, l’actrice chante a cappella.
LES COSTUMES
L’actrice les transporte dans sa valise.
Trois robes, une écharpe, des bas rouges, des bottes, des savates en bois, une paire d’escarpins, un tablier, un imperméable, un grand drap, des torchons.
Et un endroit pour les suspendre.
Ils nécessitent un fer à repasser.
ACCESSOIRES
Deux sacs en osiers, un grand et un petit.
Des lunettes de soleil. Une trousse de maquillage avec un rouge à lèvres, un petit miroir et des épingles à cheveux
Un grand drap à déchirer, trois bocaux contenant, l’un de l’eau, l’autre de la farine, le dernier du sel.
Plusieurs torchons, un saladier.
Un foulard, de fausses lunettes de vue, une robe tablier, des bottes en caoutchouc.
Les Avis du Public
« Carmela Locantore au Jardin de ma Soeur.
Voici encore une comédienne qui n’attend pas qu’on vienne la chercher pour se créer un spectacle ahurissant de talent.
Travail personnel sur ce qu’elle connait de mieux, à savoir les italiens, tous les italiens, ceux de Rome, des Pouilles, de Naples et surtout de Marchiennes avec toutes les couleurs de l’Italie à l’ombre des terrils.
Et c’est superbe. Elle mélange le français, le wallon, l’italien et sous-titre en direct les expressions du cru. On croise père et mère, De Sica et Marcello avec un égal bonheur.
Elle m’a bluffé.
Bravo Carmela » Patrick Hella (Directeur de Casting)
« Je sors du spectacle. J’en suis encore tout ébloui. Un feu d’artifice ! Sans aucune flagornerie, la mise en scène est parfaite. Quant au texte, il est simplement époustouflant, bourré de trouvailles, riche comme du baroque de notre Sud sans ses lourdeurs, du concentré d’intelligence comme dirait un de mes amis écrivain et ancien journaliste. Cariatide, brava ! Asino chi non ti viene a vedere, Carmela. Pour les Carolos : « el sé qui n’vint nin vô vîr est’un baudet. » Bacioni, betchs. » Lorenzo Cecchi (Auteur de fictions)
« Chers amis, je ne résiste pas au bonheur de vous faire partager mon coup de cœur :
Carmela Locantore réalise dans son dernier spectacle le miracle de nous faire palpiter avec sensualité, poésie, rythme endiablé, engagement, suavité, humour et profondeur au récit des chapitres passionnants de son vécu de fille de mineur à Marcinelle. Il faut courir jouir de ses brisures, de ses chants, de son charme et de ses coups de gueule à l’italienne et de ses patois ; vibrer de ses accès ritals, de son émotion contenue, de son tempo dramatique mené en prima donna. Quelle noblesse ! Quel chien de « femmena » !!! Quelle intelligence de jeu ! Quel sens du plateau ! Quelle loyauté débordante du don d’elle aux autres. La comédienne est au faites de son art et se révèle un auteur dramatique puissant ! C’est craquant, envoûtant, nécessaire de bout en bout. Merci signora Locantore, evviva Carmela !!! » Pietro Pizzuti (Auteur-acteur-metteur en scène)
« Il est encore temps pour nos amis Belges d’aller voir la magnifique comédienne Carmela Locantore, éclatante, dans une pièce autofictionnelle magnifique jouée en one woman show dans un café-théâtre de Bruxelles. A la fois drôle et bouleversante, bourrée d’énergie, inspirée par l’histoire de sa famille immigrée. La rue des roses c’est le nom de la rue où elle habita en arrivant quand elle avait environ 10 ans… je l’ai entendue chez moi en déclamer des passages, c’était fulgurant. Le texte et aussi son énergie magnétique sont fulgurants. » Louise Desrenards (Chroniqueuse politique)
………… »Courez voir Carmela Locantore. C’est du grand spectacle. C’est Philippe Caubère avec la gouaille, le talent de la Magnani… Elle est beauté, dureté, fatalisme…Sa connaissance des différents dialectes napolitains et siciliens nous projette dans cette Italie du sud où les femmes chantent leur joie et leurs douleurs.
Elle campe une donna dure, orgueilleuse et fière qui regrette d’être là. Cruelle aussi, qui refuse ce baiser à son mineur de mari à une époque où il fallait taire ses désirs. Quel voyage intime et hilarant, elle nous entraine en tragédienne des Pouilles à Charleroi.
Elle nous fait vivre une tragédie drolatique et dramatique ou se nouent les drames intimes d’une famille paysanne arrachée à sa terre natale…qui formera les bataillons ouvriers du XXème siècle, le tout dans une écriture populaire et ciselée »……………. » » Richard DETHIERE (Sociologue auteur de nombreux livres sur la condition ouvrière)
Contact :
Email : Carmela.locantore@yahoo.fr
Tel. : +32-475/72.10.86