« Les deux papes » à la Comédie Claude Volter: éblouissant!

En décidant de mettre en scène la pièce de Anthony McCarten, – déjà adaptée au cinéma par Fernando Meirelles(avec dans les rôles titres Anthony Hopkins & Jonathan Pryce )- , Stéphanie Moriau se lance un défi à la hauteur d’un talent qui se confirme une fois de plus ici et avec un éclat incontestable. Quelle réussite! On aurait aimé que l’auteur fut dans la salle de la Comédie Volter pour applaudir ses deux interprètes principaux Michel de Warzée et Alexandre von Sivers et ajouter ainsi à l’accueil enthousiaste qu’a réservé, lors de la première, le public du théâtre de Woluwé. La représentation fut parfaite en tous points. Subtilité, grâce, profondeur, intensité mettaient en valeur les échanges que le dramaturge britannique prête au pape Benoît XVI et à celui qui sera amené à lui succéder sous le nom de François 1er. Cette rencontre fictive, a été inspirée au dramaturge par cet épisode qui bouleversa le Vatican et ébranla l’église catholique: le pape Benoît XVI décide de mettre un terme anticipé à son pontificat. Il aura été ainsi, depuis le Moyen âge, le premier pape à avoir démissionné. Catherine Claeys (qui apparaît dans la scène initiale, incarnant le rôle d’une confidente de Benoît XVI, Soeur Brigitta) a remarquablement adapté le texte de l’auteur néo-zélandais, dont au théâtre Claude Volter le public assiste à une première mondiale en français.

Stéphanie Moriau résume l’argument de la pièce:  » En désaccord avec la direction de l’Église catholique, le Cardinal argentin Bergoglio, futur Pape François, demande en 2012 au pape Benoît XVI la permission de démissionner. Il compte prendre sa retraite tout en continuant à servir l’Église en tant que prêtre local. Benoît XVI convoque celui qui est alors son plus sévère critique afin de révéler son intention de quitter ses fonctions à celui qui lui succédera. » C’est ainsi, ajoute-t-elle que  » Derrière les murs du Vatican, les deux hommes confrontent leurs valeurs et visions du monde afin de trouver un terrain d’entente pour plus d’un milliard de fidèles. « 

Cette rencontre entre Benoît XVI et le Cardinal Bergoglio est fictive. La « réalité historique » est oblitérée au profit de la tension dramatique et narrative, indispensable à la dramaturgie de cet échange passionnant entre deux visions de l’église, entre deux êtres dont la fragilité, le doute, le passé, le questionnement, les remords et regrets apparaissent au fil de leur colloque singulier. Peut-être les caractères de l’un et l’autre souverains pontifes sont-ils sommairement représentés et mis en contexte: leur dialogue n’en a que plus de force, mettant à nu au-delà des conventions et des exige,ces du protocole, la confrontation de deux hommes avec leur charge, celle de 1,2 milliards de chrétiens dans un monde et une société qui échappent à leur entendement ( , dans un environnement clérical romain hostile et manoeuvrier (marqué notamment par les scandales financiers à la Banque du Vatican, la dissimulation des actes de pédophilie commis par des prêtres) mais surtout Il y a là, à partir des positions que doit prendre l’église (mariage des prêtres, mariages homosexuels, ) une invitation à débattre de ces questions, une fois le rideau tombé.

Quant à la pièce elle-même, elle est servie par une remarquable mise en scène de Stéphanie Moriau, nous le répétons volontiers ici. La force de la pièce s’articule par la formulation du débat entre les deux hommes d’église: Stéphanie Moriau (qui apparaît aussi dans le rôle de Soeur Sophia dans une scène d’introduction annonçant l’intention du Cardinal Bergoglio de démissionner) offre à chacun de ces comédiens exceptionnels que sont, Michel de Warzée et Alexandre von Sivers une dramaturgie qui leur permet d’incarner leurs personnages respectifs en déployant l’éventail inépuisable d’un nuancier de finesse et de subtilité. Servant magnifiquement les phases de ce « duel théologique », les comédiens arpentent le décor (signé Serge Daems) en martelant leur confrontation, en argumentant, en échangeant avec une justesse jamais démentie.

Jean Jauniaux, le 29 mars 2023

Sur le site de la Comédie Claude Volter:

« Les Deux Papes » de Anthony McCARTEN – Adaptation et traduction : Catherine CLAEYS

Du 29 Mars au 23 avril 2023/ Avec : Michel de WARZÉE, Alexandre von SIVERS, Stéphanie MORIAU /Mise en scène : Stéphanie MORIAU/ Décors : Serge Daems/Création lumière / Régie : Bruno SMIT/ secretariat@comedievolter.be / Av des Frères Legrain 98, 1150 Bruxelles