On aurait tendance à l’oublier de nos jours, où la plupart des romans se veulent simplement événementiels, narrant des faits de façon linéaire, se contentant d’être conformes à une trame, y ajoutant dans les meilleurs des cas un ton, un style, qui n’est rien d’autre souvent qu’un accommodement, une sauce qui accompagne et fait passer le plat : le roman est bien plus que cela, il est un édifice verbal qui peut créer une manière de monde alternatif, nous faire approcher celui qui nous est familier sous un regard complètement inédit, ouvrir portes et fenêtres et nous proposer un cadre d’appréhension littéralement inouï.
Cette aventure-là, qui fut celle d’un Joyce ou d’un Kafka, pour ne citer qu’eux, semble pour une grande part négligée aujourd’hui. Du moins si l’on se fonde sur ce qui se constate dans l’édition et la librairie. On ne peut pas dire que les officines débordent de livres qui déplacent les limites de l’inventivité littéraire. On trouve, majoritairement, de la littérature d’effusion et de consommation. Ce qui est de l’ordre de la méditation ou de la spéculation intellectuelle se trouve confinée dans le champ de la théorie : il est vrai que les rayons de philosophie, de psychologie, de sociologie sont de plus en plus fournis, et nul ne va le regretter. Mais où se réfugie cette pratique mixte qu’est la littérature d’idées, cet exercice qui consiste à couler sous forme de récit une réflexion portant sur l’homme, la société, le destin, ce que faisaient Rousseau, Goethe, Tolstoï et d’autres explorateurs du chaos du monde qui se fondaient que la capacité de son ordonnancement qu’est le langage ?
Un exemple de cette démarche devenue des plus rares nous est donné par la romancière belge qu’est Véronique Bergen. Elle a vu deux de ses livres édités dans une maison de large diffusion, Denoël, qui a publié son « Fleuve de cendres » ou sa fiction inspirée de Caspar Hauser, mais ses deux derniers romans paraissent dans des maison bien plus modestes, et ce repli est, en soi, déjà significatif.
Bergen, il faut le préciser n’est pas que romancière. En plus d’être musicienne à ses heures, elle est aussi poète et philosophe. Et sa façon d’écrire s’en ressent. Coup sur coup, elle a publié « Requiem pour le roi. Mémoires de Louis II de Bavière » et « Aujourd’hui la révolution. Fragments d’Ulrike M. ». Ce n’est pas seulement leur quasi-simultanéité de parution qui conduit à rapprocher ces deux livres. Ils sont à la fois apparentés et diamétralement opposés. D’un coté, ce dernier surgeon d’ancien régime qu’était ce souverain confronté à un monde embourgeoisé, célèbre par ses châteaux de légende qui furent comme le bouquet final d’une société condamnée. De l’autre, une terroriste martyre qui a tenté par la violence d’édifier une société nouvelle dont elle ressentait qu’elle courait à sa perte. Sur une face, l’écroulement d’un ordre, éblouissant mais sans lendemain, sur l’autre l’engendrement violemment réprimé d’une autre société. Les deux débouchent sur la mort : celle du dernier Wittelsbach, bizarrement noyé dans quelques centimètres d’eau et celle jeune femme qui, dans un quartier de haute sécurité de la prison de Stammheim, surveillée en permanence, qui aurait trouvé le moyen de mettre elle-même fin à ses jours à l’insu de ses gardiens.
Dans les deux cas, l’auteur trouve des formes exceptionnellement inventives pour nous faire éprouver ces deux parcours extrêmes, et la singularité de ses approchées provoquée par la singularité de ses modèles nous valent deux livres parfaitement atypiques, et d’autant plus fascinants.
Jacques De Decker
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530