Dans ce récit à deux voix, Marianne Sluszny entreprend d’écrire le chemin de deuil long, escarpé et douloureux qui débute à la mort de son mari en un vendredi d’août 2013. Il aura fallu sept ans à la compagne de Guy Lejeune pour mettre le point final à cet éloge funèbre qui devient, par la grâce de l’écriture, un hommage à la vie pleinement vécue de celui qui fut un de nos grands réalisateurs de télévision, en ces temps où le « service public » détenait encore toutes ses vertus.
Ce sont sans doute les pages les plus émouvantes du livre, – davantage peut-être que celles qui décrivent la souffrance occasionnée par la maladie – celles qui disent les projets, les enthousiasmes, les réalisations abouties ou celles qui sont restées en jachère. La complicité intellectuelle et artistique entre l’auteure et son compagnon, – ensemble ils ont co-réalisé pour la télévision de très beaux portraits littéraires consacrés à des écrivains belges francophones – ajoute à l’amour fusionnel qui les a uni pendant plus d’un quart de siècle, une dimension éternelle, infinie, non fini devrions nous dire. A l’image de ce scénario, jamais abouti, que Guy Lejeune ne cessait de retravailler et qu’il demanda, aux derniers jours de sa vie, de laisser ouvert sur la table de son bureau, face à la fenêtre donnant sur la canopée du Parc Josaphat. Un scénario consacré à l’écrivain et au livre qui ont constitué pour Guy Lejeune sa « figure tutélaire »: Charles de Coster dont le chef d’œuvre, La légende d’Ulenspiegel, occupe dans sa bibliothèque universelle la place centrale. Comme un soleil vers lequel toujours revenir. On se prend à rêver. Et si l’étape suivante de ce chemin de deuil était la réalisation de ce film dont le scénario a occupé toute cette vie, aujourd’hui éteinte? Et si, une fois refermé le livre, le lecteur se dirigeait vers la bibliothèque de son quartier, ou la librairie de référence et y commençait la lecture de La légende d’Ulenspiegel… »A Damme, en Flandre, quand mai ouvrait leurs fleurs aux aubépines, naquit Ulenspiegel, fils de Claes… »
Jean Jauniaux
Les cendres d’un homme ont été dispersées dans le jardin de sa maison de campagne, sous le banc qui jouxte un imposant noyer. C’est là que le disparu rêve désormais, acteur invisible d’une scène aussi étrange qu’émouvante. Alors qu’il médite sur les épreuves et les joies de son existence, sa compagne s’assied sur le banc et s’ouvre au ressenti de l’inexorable dégradation du malade, un temps où malgré l’amoindrissement, il s’était efforcé, par touches sensibles, de rester l’homme qu’il avait été.