Il y a des romans qui, d’emblée, enchantent. Ils sont rares. Pourtant, ils se ressemblent. A partir d’un sujet, d’un protagoniste, d’un lieu ils déplient leurs pages comme les cartons perforés des limonaires d’antan et nous font entendre la musique singulière d’un récit. En ouvrant le dernier roman de Nadine Monfils, nous entrons dans le rêve du facteur Cheval, un palais qu’il a édifié de ses mains (au sens littéral du terme), pendant trente années d’un labeur obstiné et obsessionnel. Ceux qui ont visité le « Palais idéal » ont été sidérés par l’entreprise à laquelle s’est livré Ferdinand Cheval: Cette œuvre magistrale échappe au temps et n’appartient à aucune époque. Elle relève tout à la fois d’un exemple d’art total et d’une œuvre de solitude extrême. Il doit être regardé comme un poème ou une œuvre d’art.
Ferdinand Cheval est le narrateur dans cette fiction où alternent des fragments de textes du facteur, et le récit à la première personne de trente années de construction d’un rêve dont le projet est né d’une révolte. A la mort de sa fille chérie, Alice, Ferdinand Cheval se lance à corps perdu dans son rêve de pierre qui aujourd’hui encore, défie le temps et démontre la force irrépressible de l’art, de la folie, des chimères…Nadine Monfils a l’art de raconter, à partir du récit linéaire et chronologique de trente années de chantier, le destin d’un homme simple et obstiné qui a fait du songe une réalité que les plus grands artistes ont salué (Picasso, Ernst, Eluard…). Ainsi Rimbaud, dans Une saison en enfer, écrit-il cette sensation hallucinée que lui inspira la palais idéal: Je voyais très franchement une mosquée à la place d’une usine, une école de tambours faite par des anges, des calèches sur les routes du ciel, un salon au fond d’un lac: les monstres, les mystères…Comme pour donner davantage de relief et de résonance à son personnage et narrateur, Nadine Monfils lui invente un ami, Joseph. Un des plus touchants personnages du livre – il appartient à la fiction – permet à la romancière d’approfondir la démarche de Cheval et de lui donner un vertige existentiel bouleversant. On ne lâche pas ce livre une fois qu’on en a déployé les premières pages, les premiers pas d’un homme qui ira au bout de son rêve et qui, après l’Histoire de l’art, entre dans celle de la littérature grâce à ce roman, à glisser dans les rayons ensoleillés des bibliothèques, ceux où on aime à revenir…
Jean Jauniaux