« Billy Wilder et moi », le dernier roman de Jonathan Coe.

Voici sans doute un des grands romans de cette année bouleversée par tant d’événements – qui alimenteront à n’en pas douter de prochains opus de l’écrivain anglais. Déjà, les années Tatcher lui avaient inspiré son terrible Testament à l’anglaise. Le Brexit avait donné lieu à un bouleversant Le cœur de l’Angleterre , que nous venons de relire, hypnotisé par cette plongée dans les tourments d’un des plus grands événements européens du siècle, dont l’évidence des enjeux, l’obscurité trouble des origines, et la dévastation des conséquences ne pouvaient être rendues que par le biais de la fiction romanesque, telle que l’exerce avec un art qui ne se dément jamais l’auteur d’une douzaine de romans déjà.

Dans Billy Wilder et moi, le romancier explore aussi la mémoire, combine aussi des épisodes réels en les reconstituant au travers de personnages romanesques qu’il place dans le sillage d l’Histoire. Ici, Calista, la narratrice, confrontée au prochain départ d’une de ses deux filles pour une année universitaire en Australie, et à l’avortement programmé quelques jours plus tard que va subir sa fille cadette, se souvient de son propre départ, lorsqu’elle avait l’âge de cette dernière et qu’elle fut engagée sur le tournage du dernier film de Billy Wilder, Fedora. Au départ, elle ne devait accompagner l’équipe que pour les prises de vue en Grèce et servir d’interprètes avec les locaux lors des quelques jours où l’équipe tournera dans une île grecque. Calista, fille d’une mère anglaise et d’un père grec qui avait connu naguère Billy Wilder, a finalement été engagée jusqu’à la fin du tournage et se retrouvera ainsi pour la postproduction à Munich. C’est en Allemagne en effet que le cinéaste, en fin de carrière, trouvera les derniers financements nécessaires que Hollywood refusera à son dernier film. Nous sommes en 1977. L’année où les salles de cinéma programment le plus grand succès commercial de tous les temps des studios d’Hollywood, Les dents de la mer; l’année où Wilder et son scénariste Iz Diamond, se rendent compte que leur cinéma n’a plus sa place sur les écrans envahis par les jeunes générations qui gravitent autour de Spielberg.

A partir de là, ce sont de multiples mémoires qui s’enchevêtrent. Celle de Calista, adulte qui se souvient de cette plongée inoubliable dans le cinéma, celle de Wilder qui évoque à Calista jeune fille ce que représente pour lui ce dernier film, ce que représente pou lui l’arrivée d’un génie comme Spielberg, mais aussi, cette mémoire terrible de la disparition de sa mère dans les camps et dont le cinéaste, derrière la façade de l’ironie et de la dérision, n’a jamais cessé de rechercher le visage dans les images d’archives à partir desquelles on lui demanda une première fois de monter un documentaire sur la libération des camps. N’ayant pu acquérir les droits de La liste Schindler, il dévoilera à la fin de sa vie qu’en voyant ce chef d’oeuvre, réalisé par Spielberg, il y cherchera encore le visage de sa mère. Cette bouleversante confession testamentaire, réunissant l’Histoire et la fiction dans un fulgurant éclair, a été rapportée au romancier par Völker Schlöndorff, qui a bien connu Wilder et avait assisté à une partie du tournage de Fedora dans les studios Bavaria.

le roman de Jonathan Coe nous prend à la gorge par sa capacité à nous émouvoir au plus profond, au plus secret en nous donnant à vivre, à travers un personnage imaginaire, le cheminement invisible et fragile d’un destin, celui d’un homme, celui d’un art, celui d’un roman qui nous dit bien davantage que la réalité sur laquelle il se fonde. C’est un miroir brisé en éclats que le romancier reconstitue par fragments, comme autant de lumières projetées sur notre passé, notre histoire. Il poursuit ainsi une indispensable exploration de l’âme humaine.

Jean Jauniaux, le 30 mai 2021.

La traduction du roman en français est remarquablement écrite par Trad. de l’anglais par Marguerite Capelle.

Sur le site de Gallimard

Dans la chaleur exaltante de l’été 1977, la jeune Calista quitte sa Grèce natale pour découvrir le monde. Sac au dos, elle traverse les États-Unis et se retrouve à Los Angeles, où elle fait une rencontre qui bouleversera sa vie : par le plus grand des hasards, la voici à la table du célèbre cinéaste hollywoodien Billy Wilder, dont elle ne connaît absolument rien. Quelques mois plus tard, sur une île grecque transformée en plateau de cinéma, elle retrouve le réalisateur et devient son interprète le temps d’un fol été, sur le tournage de son avant-dernier film, Fedora. Tandis que la jeune femme s’enivre de cette nouvelle aventure dans les coulisses du septième art, Billy Wilder vit ce tournage comme son chant du cygne. Conscient que sa gloire commence à se faner, rejeté par les studios américains et réalisant un film auquel peu de personnes croient vraiment, il entraîne Calista sur la piste de son passé, au cœur de ses souvenirs familiaux les plus sombres.
Roman de formation touchant et portrait intime d’une des figures les plus emblématiques du cinéma, Billy Wilder et moi reconstitue avec une fascinante précision l’atmosphère d’une époque. Jonathan Coe raconte avec tendresse, humour et nostalgie les dernières années de carrière d’une icône, et nous offre une histoire irrésistible sur le temps qui passe, la célébrité, la famille et le poids du passé.