Sous l’exergue en nom de couleur et de technique de peinture, « camaïeu » et des poètes Rilke, Jacques Biebuyck et Thierry-Pierre Clément, Isabelle Michiels nous donne chez Weyrich La dernière vague. L’écrivain Thierry Pierre Clément, ouvre ce récit des dernières années avec une préface éclairante, dévoilant avec sensibilité la démarche de l’auteure, les « neuf étapes successives formant un subtil camaïeu ». En ouvrant un éventail de bleus (clair, marine, d’encre, nuit, ciel, outremer, bleus, azur, roi), Isabelle Michiels partage, offre en partage devrait-on dire car il s’agit d’une véritable offrande, le voyage en fin de vie de sa grand-mère, sa Bellissima comme elle l’appelle dès Bleu clair, le chapitre initial de cette traversée des derniers jours.
L’auteure a choisi de s’adresser à « la mère de <sa> mère ». Par cette intimité partagée, elle nous place au plus proche de cet échange bouleversant. Il y a ainsi dans la figure de la Dolce Nonna, une entrée dans l’universel. Michiels devient par la grâce de l’écriture, témoin sensible de cette vie qui s’achève, de ce très grand âge auquel nous sommes confrontés de génération en génération. On y lit au fil des pages, au gré des « couleurs », le cortège de détresses matérielles (la chambre trop étroite de la maison de repos), de pertes de mémoire, de souvenirs fulgurants et douloureux qui brisent l’amnésie (« Bon-papa, sais-tu depuis combien de temps déjà il est parti ? »), la curiosité inquiète des autres, les enfants, la vie matérielle, la vie du dehors. La narratrice se laisse envahir par la grâce de ce visage, et se prépare au départ de celle à qui elle dit muettement « Tu n’es plus seulement toi, tu te rends peu à peu à ton mystère, comme le blé à sa moisson »
L’écriture est une manière de dialoguer, « te parler continûment » et être le témoin de celle qui ne vit « pas inquiète du trépas. Tu cueilles l’un après l’autre les instants »
Une chute déclenche l’hospitalisation et accélère l’affaiblissement de celle qui a maintenant 92 ans et qui devra se déplacer en chaise roulante. Viendront d’autres étapes de ce voyage où « au milieu des vides de <la> mémoire, les répétitions soutiennent les vestiges d’un temple dont <tu> es la gardienne. »
Au fil de ce récit de tendresse, les souvenirs de la narratrice enfant viennent sous la plume. Mais aussi, les contacts avec d’autres têtes blanches, vivant au même étage de la maison de repos. Et puis, la réalité d’une génération ancienne, où les seuls voyages conduisaient vers la mer, nous font relativiser notre réalité quotidienne, tandis que surgissent et se multiplient les accidents, qui hâteront la fin de celle qui se prénomme Renée, jusqu’à son dernier souffle.
Voici un livre qui nous accompagnera longtemps et qui a cette force que seule la littérature transmet avec autant de lumière, celle de transformer notre regard sur le monde, ici, sur la fin de vie, sur le très grand âge.
Jean Jauniaux, le 26 mai 2021.