Editions Casterman
Au bonheur des Dames est le onzième volume qu’Emile Zola consacre à la série romanesque des Rougon-Macquart.
Chez Casterman, Agnès Maupré en a réalisé une adaptation sensible, haute en couleurs, traduisant de façon exemplaire par le scénario et le dessin, tout ce qui fait du roman de Zola un portrait impitoyable de l’expansion à Paris des grands magasins, et de toute l’économie qui en est bouleversée, dans la deuxième moitié du XIX e siècle. La fulgurante modernité de ce roman graphique nous apparaît avec davantage encore d’acuité en cette période de confinement : nous savons aujourd’hui à quoi mène le libéralisme économique effréné. L’album paraît chez Casterman ce 3 juin 2020. Nous avons interviewé par SKYPE Agnès Maupré, dont vous pouvez ici écouter la bande sonore de l’entretien. Au cours de celui-ci, Agnès Maupré nous dit comment son parcours éditorial l’a menée vers ce roman, qui l’avait déjà fascinée à sa première lecture. Elle nous dit comment elle a restitué par le dessin et le découpage de son scénario, l’oeuvre de Zola, comment elle a fait le « casting » des personnages, Denise Baudu, jeune femme montée à Paris pour travailler dans le petit magasin de son oncle, Octave Mouret, qui dirige le magasin « Au bonheur des dames » et, en entrepreneur cynique qu’il est, développe son entreprise et en fait un des grands magasins qui surgissent dans les métropoles européennes au XIXe siècle, le Père Bourras dont la petite boutique sera mise en faillite et démolie …
Pourquoi ne pas ouvrir le roman de Zola, « Au bonheur des dames » dont l’album que signe Agnès Maupré est une superbe adaptation du onzième volume de la suite romanesque des Rougon Macquart? Laissons-nous emporter par l’incipit du roman et par les premières vignettes de l’album…
Jean Jauniaux
« Denise était venue à pied de la gare Saint-Lazare, où un train de Cherbourg l’avait débarquée avec ses deux frères, après une nuit passée sur la dure banquette d’un wagon de troisième classe. Elle tenait par la main Pépé, et Jean la suivait, tous les trois brisés du voyage, effarés et perdus, au milieu du vaste Paris, le nez levé sur les maisons, demandant à chaque carrefour la rue de la Michodière, dans laquelle leur oncle Baudu demeurait. Mais, comme elle débouchait enfin sur la place Gaillon, la jeune fille s’arrêta net de surprise. – Oh ! dit-elle, regarde un peu, Jean ! Et ils restèrent plantés, serrés les uns contre les autres, tout en noir, achevant les vieux vêtements du deuil de leur père.
Elle, chétive pour ses vingt ans, l’air pauvre, portait un léger paquet ; tandis que, de l’autre côté, le petit frère, âgé de cinq ans, se pendait à son bras, et que, derrière son épaule, le grand frère, dont les seize ans superbes florissaient, était debout, les mains ballantes.
– Ah bien ! reprit-elle après un silence, en voilà un magasin ! C’était, à l’encoignure de la rue de la Michodière et de la rue Neuve-Saint-Augustin, un magasin de nouveautés dont les étalages éclataient en notes vives, dans la douce et pâle journée d’octobre. Huit heures sonnaient à Saint-Roch, il n’y avait sur les trottoirs que le Paris matinal, les employés filant à leur à bureaux et les ménagères courant les boutiques. Devant la porte, deux commis, montés sur une échelle double, finissaient de pendre des lainages, tandis que, dans une vitrine de la rue Neuve-Saint-Augustin, un autre commis, agenouillé et le dos tourné, plissait délicatement une pièce de soie bleue. Le magasin, vide encore de clientes, et où le personnel arrivait à peine, bourdonnait à l’intérieur comme une ruche qui s’éveille. »