2.176 pages! Dont plus de 300 consacrées par André Versaille à raconter Molière, à explorer l’univers de Jean-Baptiste Poquelin et de sa troupe. L’historien-essayiste-éditeur-romancier a consacré quatre années de recherches, de lectures et relectures de l’oeuvre pour nous donner cette édition complète, et nous raconter, à travers les notices qui en sont autant d’épisodes, la vie de l’oeuvre, de l’époque et de l’artiste, un des plus grands écrivains de la littérature française.
Voilà une première manière de mettre en évidence le travail passionné et passionnant, érudit et brillant dont l’aboutissement est ce livre, « le » livre de l’année Molière. Il paraît fin 2022 (400e anniversaire de la naissance de Poquelin) pour éclairer l’année 2023 (350e anniversaire de la mort de l’auteur du Malade imaginaire ). « À travers la saga de la troupe (la plus importante de l’histoire de France), on y raconte la vie du dramaturge, ses relations avec le Roi Soleil et on y brosse un tableau du théâtre à cette époque » , écrit André Versaille qui ajoute « Si l’on me demandait quel écrivain j’aimerais rencontrer aux enfers, je citerais immédiatement Molière »! Le ton est donné: Versaille va suivre,d’oeuvre en oeuvre, la vie de « l’homme- théâtre ». Chacune des pièces est précédée d’une abondante notice qui la situe dans la chronologie de l’oeuvre et de la vie de Molière et de sa troupe. Versaille évoque bien sûr la « frustration que tout amateur de Molière éprouve: les innombrables lacunes dans notre connaissance de la vie du comédien ». N’avait-il pas suppléer à ce manque, en imaginant , dans un roman, un journal apocryphe de la femme de Molière. (Nous avons évoqué ce livre ici dans une interview à propos de « Armande ou le chagrin de Molière » L’interview d’André Versaille est toujours disponible sur la chaîne youtube de « L’Ivresse des livres ». )
André Versaille aime à comparer Molière à Chaplin pour ce « renouvellement perpétuel du rire, cette qualité d’humour…que de similitudes dans leurs destins » .
Dans son introduction générale, « L’homme-théâtre », André Versaille raconte les différentes étapes de la carrière de Molière. André Versaille retrace les premières années de la vie de Poquelin, les situe dans le contexte plus général du théâtre au XVIIe siècle, y inscrit la création de « L’Illustre théâtre », première troupe de Molière et Madeleine Béjart. L’occasion nous est donnée de suivre la vie de la troupe en Province puis son installation à Paris, sa reconnaissance par Louis XIV et les autres épisodes de la carrière du « comédien préféré de Louis XIV ». Suivent les « oeuvres complètes », présentées dans l’ordre chronologique et précédées chaque fois d’une notice (la plus courte compte deux pages – à propos des deux premières farces-, les plus longues pas moins de 20 pages (Le Misanthrope) et 25 pages (Tartuffe). Comme l’écrit André Versaille, « j’ai conçu chaque notice comme autant d’épisodes d’un feuilleton qui nous fait découvrir, « premières » après « premières », un Molière stratège autant que poète ». Depuis les premières « farces » (les seules dont on ne soit pas sûr de la paternité) jusqu’au Malade imaginaire dont la quatrième représentation précédera de peu le décès (chez lui) du dramaturge, André Versaille est intarissable pour le plus grand bonheur des lecteurs qui ne peuvent qu’être (heureusement) condamnés par l’admiration sans limite qu’inspire à Versaille l’auteur de Don Juan.
Ce n’est pas ici le lieu d’un « compte-rendu » de ce livre, dont les entrées sont multiples et dont on se demande, avec sidération, comment André Versaille a réussi à en venir à bout… Sans doute est-ce au prix d’une annexe virtuelle que notre infatigable chercheur peut nourrir à sa guise, en ajoutant au lexique (« La langue de Molière »), toutes informations qui lui permettront de mettre à jour son ouvrage. Un QR Code conduit le curieux vers le site d’André Versaille où l’auteur peut poursuivre son exploration de l’Everest qu’est l’oeuvre de JB Poquelin.
Quant à nous, nous nous réjouissons de l’interroger lors d’une rencontre par ZOOM enregistrée quelques jours après la sortie du livre. L’occasion pour André Versaille de nous redire ce par quoi il conclu « L’homme-théâtre »: Je tiens à vous préciser, chères lectrices, chers lecteurs, que jean-Baptiste Poquelin a bien existé, qu’il fut bien l’acteur, metteur en scène, chef de troupe et dramaturge connu sous le nom de Molière et que, si étonnant que cela puisse paraître, il est bien l’auteur des pièces ici rééditées pour votre plaisir ». Avis aux amateurs de légendes attribuant à Corneille (comme Pierre Louys) ou à Louis XIV (hypothèse développée par le théoricien du Big Bang, Georges Lemaître) les oeuvres de celui dont tant de traces ont disparu (depuis sa maison natale jusqu’au « lieu où se trouveraient ses restes »). Depuis, ces théories ont fait long feu comme le démontrent des recherches menées au CNRS …
Jean Jauniaux, le 13 décembre 2022
L’interview d’André Versaille sur la chaîne Youtube de « L’ivresse des livres »
En guise de clin d’oeil, une photographie de l’acte 2 de Don Juan, mis en scène dans le cadre d’un spectacle « Molière Polyglotte » coordonné par Jacques De Decker en 1972 pour saluer le 350e anniversaire de la naissance de JB Poquelin. Ces représentations se donnèrent dans la salle de conférence de l’Ecole d’Interprètes internationaux de l’Université de Mons. La salle, équipée de cabines d’interprétation , permettait de jouer les pièces de Molière dans la langue du pays où elles se déroulaient (l’Espagne pour Don Juan, l’Italie pour Les Fourberies de Scapin ) ou dans des langues qu’elles auraient pu évoquer (Le bourgeois gentilhomme, en russe, Tartuffe en anglais etc…) et d’en écouter la « traduction » simultanée dans la langue de Molière!
Molière n’est pas seulement le plus grand dramaturge français, il fut l’homme-théâtre par excellence : comédien pour commencer, puis metteur en scène, puis directeur de troupe et enfin dramaturge. Ce cas est unique dans l’histoire de la littérature française.
Le théâtre de Molière est le seul dans le patrimoine français dont chaque représentation ait constitué un événement à part entière.
Le comédien chef de troupe étant devenu rapidement le dramaturge favori de Louis XIV, plusieurs de ses pièces – surtout les grandes comédies-ballets ‒ seront créées lors des fêtes royales : Les Fâcheux, représentés lors de la fête que Fouquet donna en son château de Vaux : La Princesse d’Élide à Versailles lors des Plaisirs de l’Île enchantée ; George Dandin, lors du Grand divertissement royal de Versailles ; Le Bourgeois gentilhomme à Chambord… Les coulisses de ces « premières » fourmillent d’anecdotes savoureuses et leurs présentations à la cour et à la ville sont jalonnées de scandales : mondain pour Les Précieuses ridicules ; « féministe » pour L’École des femmes ; de l’impiété pour Tartuffe ; du libertinage pour Dom Juan…
Ceci n’est pas une simple édition des œuvres complètes. On y trouve les écrits complets de Molière, bien sûr, mais aussi des notices accompagnant chacun d’entre eux, conçus comme autant d’épisodes d’un véritable feuilleton. À travers la saga de la troupe (la plus importante de l’histoire de France), on y raconte la vie du dramaturge, ses relations avec le Roi Soleil et on y brosse un tableau du théâtre à cette époque fertile en créations de génie. Tout Molière en somme, dans ce volume d’une ampleur et d’une richesse sans équivalent.
André Versaille (sur le site de « Bouquins »):
Éditeur, documentariste et écrivain, spécialiste de la littérature française, en particulier des XVIIe et XVIIIe siècle, André Versaille est l’auteur notamment d’un Dictionnaire de la Pensée de Voltaire (éd. Complexe, 1994) ; d’un Autodictionnaire Voltaire (Omnibus, 2013) ; d’une édition des Œuvres complètes de La Fontaine sous le titre Fables et Contes (Bouquins, La collection, 2017) ; ainsi que d’un roman : Armande ou le Chagrin de Molière (Presses de la Cité, 2022).