« Le cinéma de Saül Birnbaum », un roman de Henri Roanne-Rosenblatt: la littérature comme résilience…

On ne dira jamais assez la place déterminante qu’ occupent les Editions M.E.O. dans le paysage littéraire belge francophone. Elles ont pris l’heureuse initiative de proposer au public une nouvelle édition du roman Le cinéma de Saül Birnbaum de Henri Roanne-Rosenblatt . Le roman, publié dès 2013 avait alors attiré l’attention du réalisateur – producteur de cinéma Nicolas Steil qui en avait acquis les droits et entrepris le (lent) cheminement vers le développement et la production d’une adaptation au cinéma. En 2022, la production du film est finalisée: le scénario écrit par Henri Roanne-Rosenblatt et Michel Fessler en collaboration avec le réalisateur du film a donné lieu à un film de long métrage sous le titre Le chemin du bonheur dont la sortie en salle en France est programmée en juin 2022, après plusieurs sélections dans différents festivals.

L’occasion nous est ainsi donnée de revenir sur ce « récit de résurrection » comme l’écrivait fort justement un critique à la sortie initiale du roman.

Inspiré de l’enfance du romancier, le livre nous raconte la résilience d’un enfant juif, caché chez une « juste » qui l’a recueilli à Bruxelles alors que les rafles orchestrées par les Nazis se déployaient en Belgique occupée. Henri Roanne-Rosenblatt témoigne – à travers le destin entrelaçant fiction et réalité de son personnage, Saül Birnbaum-, d’une résilience singulière: l’évasion par le livre. Enfant, Saül avait été recueilli par Justine Verreken, une femme d’une cinquantaine d’année, « catholique pratiquante, elle n’entendait rien à la politique. Inculte, elle n’était guidée par aucune idéologie ni conviction patriotique. Elle trouvait tout simplement intolérable que l’on puisse faire du mal aux enfants. » Et en particulier au garçonnet de 7 ans qu’elle cache chez elle. La mère de l’enfant, quelques semaines plus tôt, à Vienne, capitale de l’Autriche annexée au Reich, avait choisi de confier Henri-Saül aux « Kindertransporten » organisés par le Royaume Uni en vue d’évacuer les enfants juifs d’Autriche et d’Allemagne dès 1938 et de les protéger ainsi.

Pour que l’enfant soit distrait de l’ennui et de l’isolement, Justine lui procure à la bibliothèque communale des livres – choisis au hasard- que le petit Henri-Saül va dévorer pour tromper l’ennui et qui, d’une certaine manière, le sauveront.

Henri Roanne-Rosenblatt a attendu de nombreuses années avant de témoigner de cette période, de cet « abandon » par sa mère (qui l’a sauvé d’une mort certaine) et de la générosité sans faille de « Justine ». Aujourd’hui, il témoigne dans les écoles, ou lors de conférences et colloques mémoriels. Mais, surtout, il nous donne avec ce roman, une fiction par laquelle il transcende son histoire personnelle pour nous faire littéralement « ressentir » le traumatisme infligé à un enfant et, à partir de là, une lente et longue reconstruction de soi.

Ceci est à la source du roman. Celui-ci n’est pas un récit historique, mais une oeuvre littéraire au sens le plus vrai du terme, une fiction qui nous ravit et nous hypnotise par le style, la fantaisie aussi, l’humour et l’ironie qui palpitent au long de cette histoire dont on devine, en la lisant, la part de jubilation que l’auteur a éprouvée à l’écrire. Ainsi Saül, personnage, se libère de la gangue autobiographique du romancier, pour devenir à l’âge adulte, le propriétaire d’un Delikatessen, à New York. Passionné de cinéma, il encourage son neveu à se lancer dans la production d’un long métrage, dont le financement sera nourri de toutes les roueries que permet la fiscalité américaine. Ancien critique de cinéma et spécialiste des mécanismes de financement de l’audiovisuel européen (il a été un des artisans du Programme MEDIA de l’Union européenne), Henri Roanne puise avec une allégresse communicative dans ces deux expériences pour nous faire partager l’univers du cinéma indépendant new-yorkais et les coulisses du Festival de Cannes. Et le roman est traversé aussi par une histoire d’amour dont nous laissons au lecteur le plaisir de la découverte.

Il aura fallu sans doute plusieurs décennies à Henri Roanne-Rosenblatt pour se réconcilier avec le destin familial infligé au petit garçon, « abandonné » qui « se souvient juste d’un petit garçon terrorisé, perdu au milieu de centaines d’enfants, tout aussi désorientés, affichant leur nom sur un carton accroché autour du cou, en larmes, embarqués par la Croix-Rouge dans un train vers un pays inconnu aux bons soins d’étrangers dont il ne connaissait ni la langue ni même le nom. Il se demanda peut-être quelle faute il avait commise pour être ainsi puni. Fut-ce à ce moment-là qu’il attrapa le virus inexpugnable de la culpabilité? » Ces passages bouleversants du récit alternent avec l’allégresse et les excès de Saül, adulte, à New-York qui s’enivre de ce cinéma dont il est passionné.

Il faut lire ce roman avant d’en aller voir l’adaptation – très réussie- sur grand écran. Il s’agit de deux émotions distinctes et complémentaires. A ces deux approches, comment ne pas recommander aussi d’écouter Henri Roanne-Rosenblatt témoignant de cette lugubre période, évoquant son exode d’enfant – dont les images d’Ukraine éveillent cruellement la mémoire- , évoquant sa résilience et la fin de l’incompréhension à l’égard de ses parents, qui le hanta pendant des années.

Nous avions rencontré et interviewé Henri Roanne-Rosenblatt à différentes reprises depuis la parution initiale du roman, il y a presque une décennie. C’est sans doute aussi ici, l’occasion d’inviter les visiteurs de ce site , à aller écouter à nouveau ces récits portés par la voix de celui qui, à la radio belge, portait le nom de Henri Roanne, un pseudonyme auquel il a depuis restitué le patronyme Rosenblatt…

Jean Jauniaux, le 17 avril 2022.

Interviews d’Henri Roanne-Rosenblatt disponibles sur ce site:

Une rencontre avec le romancier a eu lieu en mars 2022 à Mons à l’Atelier des Capucins (un centre culturel créé et dirigé par Richard Miller). L’enregistrement de cette rencontre que nous avons eu le plaisir d’animer se trouve sur soundcloud.

Sur le site des Editions M.E.O.

Saül Birnbaum, survivant d’une famille de restaurateurs judéo-polonais, fuit l’Autriche à l’âge de 6 ans, après la Nuit de cristal, par un Kindertransport, et trouve refuge à Bruxelles où il sera caché de 1942 à 1944. Fasciné par le cinéma hollywoodien qu’il découvre à la Libération, il réalise son rêve américain en ouvrant un delicatessen à New York. Une ébauche de scénario laissée en gage par un client impécunieux lui permet de devenir producteur de cinéma. Il parvient, par des méthodes peu orthodoxes de financement, à monter la production d’un film et à convaincre une star d’y jouer. Pourtant, Saül demeure hanté par sa jeunesse dramatique et par la nostalgie de son amour d’enfance, Hilde, nièce d’Hitler…

A propos du film inspiré du roman , Le chemin du bonheur , sur le site de Iris Production.

Le synopsis du film réalisé par Nicolas Steil

« Comment vivre avec l’abandon de ceux qui sont là pour nous aimer inconditionnellement, nos parents ? En inventant un autre monde, en s’inventant une autre réalité, en vivant dans un rêve éveillé, sans cesse reconstruit au jour le jour.Pour s’empêcher de penser au traumatisme originel, pour avoir soif de vie, pour avancer vers l’autre en prenant le moins de risques possibles.Saül Birnbaum est un « enfant caché », un de ceux qui à l’âge de 6 ans a dû être séparé de ses parents pour échapper à la Shoah à venir et envoyés par un Kindertransport à l’étranger, de Vienne à Bruxelles.
En 1986, Saül est sur la voie de la résilience, il réinvente sa vie, il tente de la réenchanter, il a ouvert un Delicatessen qui ne ressemble à aucun autre, où le 7ième Art triomphe tous les jours sur la scène de ce restaurant en représentation permanente. Avec Joakin, son protégé, un jeune réalisateur chilien qui a fui Pinochet, ils décident d’écrire l’histoire de l’enfance de Saül et d’en faire un film, ce qui leur permettra à tous deux de « guérir » un peu plus.Mais voilà que l’amour frappe à sa porte et le confronte à son passé. Elle l’aime, il l’aime, elle disparaît, il se perd, elle revient, il revit, elle l’abandonne à nouveau, il s’abandonne …Le Chemin du Bonheur est une histoire qui nous fait comprendre qu’il ne faut jamais, jamais, abandonner ! »