« Armande ou le chagrin de Molière »: André Versaille dévoile le journal intime (apocryphe) de la veuve de Jean-Baptiste Poquelin: un roman saisissant!

Depuis une quinzaine d’années l’écrivain-éditeur André Versaille est littéralement plongé dans le XVIIe siècle français. Après avoir établi la nouvelle édition des Fables et contes de Jean de La fontaine (dans la prestigieuse collection « Bouquins » que dirige Jean-Luc Barré – que nous avions rencontré (notamment) au trentième anniversaire de la collection-, il achève celle des Oeuvres complètes de Molière à paraître dans la même collection, en cette année 2022 qui est celle du quatrième centenaire de la naissance de l’auteur du Misanthrope.

En marge de cette double entreprise, André Versaille nous donne un roman saisissant dont la narratrice et scriptrice (fictive) est Armande Béjart. Plutôt que d’opter pour des Mémoires (à l’instar des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar où, nous dit Versaille, « la perfection a été atteinte » ), l’auteur choisit la forme du journal intime. Il s’en explique dans la préface de Armande ou le Chagrin de Molière: « Mon roman ne serait pas seulement le récit personnel de l’aventure haute en couleur de la troupe: Armande s’y interrogerait sur ce qu’elle a éprouvé dans sa relation à Molière ».

Le journal d’Armande Béjart, sous la plume d’André Versaille, prend une dimension d’auto-analyse supplémentaire. En effet, Armande adresse son journal à Molière. C’est à son mari défunt (il est mort 26 années avant l’entreprise mémorielle de sa veuve) qu’elle écrit, c’est avec lui qu’elle évoque les souvenirs communs, qu’elle partage sa propre perception de la vie de la Troupe de l’Illustre théâtre, la vocation de Jean-Baptiste Poquelin qui ne se serait pas révélée sans Madeleine Béjart (la mère d’Armande et la première maîtresse de Molière). On sait qu’il ne reste aucun écrit autographe de Molière. Qu’à cela ne tienne! Le romancier imagine qu’u moment où Armande écrit son journal intime, elle dispose encore d’archives: des lettres, des livres de compte, des manuscrits…bref, tout ce qui manque cruellement à l’historien mais que le romancier ré-invente ici pour le plus grand bonheur du lecteur.

Car il y a grand bonheur à lire ce récit et à être placé au coeur de la troupe de l’Illustre théâtre, à vivre le quotidien des tournées en province, l’arrivée dans le Paris du XVIIe siècle, les intrigues de la Cour de Louis XIV, grand protecteur de Molière, l’écriture des pièces (dont Molière faisait la lecture à ses comédiens pour « tester » ses effets), les succès, les échecs, les éreintements…jusqu’à ces pages poignantes de la mort de Molière au terme d’une représentation du Malade imaginaire.

Lorsqu’une érudition exceptionnelle se met au service de la fiction, l’écriture et l’invention romanesques permettent une création au plus près des êtres, restituant la complexité des sentiments, la force des émotions tout en nous donnant diablement envie de relire (ou de revoir) l’oeuvre de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière. Une manière pour André Versaille de nous faire patienter avant la parution des Oeuvres complètes de Molière?

Nous avons rencontré André Versaille et évoqué avec lui la « création » du personnage d’Armande et, dans le miroir de ce journal intime, celui de Molière qui, nous dit Versaille, devenait depuis l’enfance, un de ses écrivains de chevet.

Jean Jauniaux, le 19 février 2022.

Sur le site des Presses de la Cité:

Ce  « journal », Armande Béjart le tient une année durant. Commencé le 17 février 1699, vingt-six ans après la mort de Molière, il s’achève une dizaine de mois avant sa propre mort. Il est le récit intime et secret d’une femme qui se demande ce qu’elle a fait de sa vie. Et si, au bout du compte, elle était passée autant à côté d’elle-même que de son mari ?
  « Nous étions tous deux malheureux. Toi de mon désamour ; moi, de me sentir prisonnière. Tu vivais dans le souvenir d’une flamme qui n’était plus que la tienne. D’où donc te venait cette force qui s’obstinait à maintenir ce fantôme vivant ?
J’avais été heureuse avec toi, mais qu’étions-nous devenus sinon des mariés apparemment satisfaits de leur chasteté ? Alors, lassée de remonter chaque soir dans notre chambre qui ne résonnait plus d’aucune étreinte, seulement de mes soupirs et de ton ronflement, je te chassai de mon intimité.
J’avais rêvé d’une manière de nous désunir sans nous déchirer, de nous rapprocher sans nous rejoindre. Je n’étais plus amoureuse de toi, je voulais être libre, mais quoi que je fisse pour me séparer, je ne parvenais pas à renoncer à toi.
»

Vingt-six ans après la mort de Molière et au terme d’une existence remuée de théâtre, de passions amoureuses, de libertinage et de déceptions, Armande, sentant sa fin prochaine, désire faire le point sur sa vie. Pendant près d’un an, elle s’astreindra à se remémorer l’aventure de la troupe avec ses grands moments, et en même temps la manière dont elle a vécu ses liaisons amoureuses.
À travers ce journal où elle s’adresse à Molière, nous découvrons un portrait du dramaturge regardé à la fois depuis les coulisses et depuis l’alcôve.