« KONG »: le roman-monde de Michel Le Bris« La nécessaire mise en incandescence réciproque du monde et de la littérature. »
En écoutant Michel Le Bris raconter, les yeux pétillants, la genèse du roman qu’il consacre aux deux réalisateurs et producteurs du chef d’oeuvre « KING KONG », on ne peut s’empêcher de penser que les huit années qu’il a consacrées pour ce roman aux recherches documentaires puis à l’écriture ont été une sorte de jubilation exaltante comparable à celle, que nous avons éprouvée à la lecture des 900 et quelques pages de son dernier roman « KONG ». Huit années au cours desquelles le créateur du festival « Etonnants Voyageurs », a exploré tout ce qui pouvait nourrir ce projet inscrit dans la continuité du précédent roman « La beauté du monde » (consacré aux cinéastes documentaires Martin et Osa Johnson, pionniers des films animaliers)
Michel Le Bris nous dit la collection complète des journaux (New York Times et Los Angeles Times qu’il a lus, les archives de la RKO qu’il a épluchées, les fiches de production du film qu’il a examinées pendant ces huit années au cours desquelles il alternait la constitution d’une formidable documentation et l’écriture du roman que l’on ne lâche plus une fois qu’on y a franchi le seuil de la première phrase.On est alors emporté par le lyrisme du conteur, par le style enivrant d’une écriture maîtrisée de bout en bout, où chaque phrase possède sa musicalité essentielle et son rythme propre pour s’intégrer à la symphonie du récit consacré à Merian Cooper et d’Ernest Schoedsack, survivants de la Première Guerre Mondiale, dont ils sont, comme leurs frères d’armes, sortis hébétés d’avoir vu le gouffre du monde. La quatrième de couverture du roman nous dit ce qu’ils ont été, le roman nous raconte leur quête de survivant dans un monde transformé autant qu’ils le sont eux-mêmes: trouver le langage qui dira le réel, qui y mêlera les terreurs ancestrales de la part-monstre de l’homme, qui réussira à témoigner des abysses et y puisera un nouveau mythe dont nous n’avons pas cessé d’épuiser le sens et les mises en garde, qui nous entraîne dans les sidérants vertiges que les décennies qui nous séparent de 14-18 n’ont pas comblés.Voici un livre inépuisable, dont une chronique de quelques lignes ou un entretien radio avec l’auteur ne peuvent rendre compte. Il faut lire, et on le ferait d’une traite si on n’aimait prolonger le bonheur de lire en s’en distrayant par le songe des images qu’il évoque, de ces lieux et de ces personnages qu’il nous donne à voir?, à lire?, non à vivre littéralement. Des tranchées de la guerre 14-18, aux studios de Hollywood, de la fausse après-guerre aux tournages de documentaires en Iran, au Soudan, en Abyssinie, ce sont, de 1914 à 1933 deux décennies qui nous sont projetées et nous laissent subjugués par l’art du conteur, par sa manière de camper les personnages réels (Outre Cooper et Schoedzak, il y a Selznick, Ruth Rose, Fay Wray, Marguerite Harrison…) et par cette démonstration qui éclaire chaque page du roman: la fiction seule peut dire le monde. Dans un entretien paru sur le site de Grasset, Le Bris s’en explique: « Toute mon entreprise, dans mes livres comme dans la création du festival Etonnants Voyageurs a été de m’opposer à cette vision de la littérature : un monde s’effondrait, un autre venait, et pour moi c’étaient les artistes, mieux que quiconque, qui disaient l’inconnu de ce qui venait, lui donnait un visage, son rythme, ses mots. Jamais la littérature ne paraissait aussi nécessaire ! »Ainsi lorsqu’il inventait en 1993 le concept de « littérature-monde », insistait-il sur « la nécessaire mise en incandescence réciproque du monde et de la littérature. »
Voici un roman qui entre dans la légende et vient côtoyer, dans la bibliothèque de l’honnête homme, les romans de Stevenson, Conrad, Melville.
Qu’attendez-vous pour vous y plonger toutes affaires cessantes? Peut-être écouter l’entretien que Michel Le Bris nous a accordé et au cours duquel il nous en quoi la fiction indispensable.
Sur le site de l’éditeur
Deux jeunes gens sortent sonnés de la Grande Guerre. L’un, Ernest Schoedsack, a filmé l’horreur dans la boue des tranchées ; l’autre, Merian Cooper, héros de l’aviation américaine, sérieusement brûlé, sort d’un camp de prisonniers. Ils se rencontrent dans Vienne occupée, puis se retrouvent à Londres où naît le projet qui va les lier pour la vie. Comment dire la guerre ? Comment dire ce puits noir où l’homme s’est perdu – et peut-être, aussi, révélé ? Pas de fiction, se jurent-ils : le réalisme le plus exigeant. S’ensuivent des aventures échevelées : guerre russo-polonaise, massacres de Smyrne, Abyssinie, épopée de la souffrance en Iran, tigres mangeurs d’hommes dans la jungle du Siam, guerriers insurgés au Soudan…Leurs films sont à couper le souffle. On les acclame : « Les T.E. Lawrence de l’aventure ! » lance le New York Times. Eux font la moue. Manque ce qu’ils voulaient restituer du mystère du monde. Déçu, Cooper renoncera quelque temps – pour créer avec des amis aviateurs rien moins que… la Pan Am ! – avant d’y revenir.Ce sera pour oser la fiction la plus radicale, le film le plus fou, pour lequel il faudra inventer des techniques nouvelles d’animation. Un coup de génie. Une histoire de passion amoureuse, mettant en scène un être de neuf mètres de haut, Kong, que l’on craint, qui épouvante, mais que l’on pleure quand il meurt… Le film est projeté à New York devant une foule immense, trois semaines avant qu’Hitler ne prenne les pleins pouvoirs.
Sur un air de jazz mélancolique ou joyeux, entre années de guerre et années folles, Michel Le Bris nous offre une fresque inoubliable. On y croise des êtres épris d’idéal, des aventurières, des héros, des politiques, des producteurs, des actrices, et bien sûr un immense singe que l’on aime craindre et aimer, moins sauvage que l’homme…