Les héros de l’ombre, dans le monde des livres, ce sont qui, nommément ou implicitement, les signent en bas de la couverture, à savoir les éditeurs. On les traite comme des marques, on ne se rend pas assez compte que ce sont des hommes, parfois des femmes, et que toute la vie littéraire dépend d’eux. Non seulement l’existence des livres, mais le mouvement de la pensée, le climat littéraire d’une époque. On pourrait écrire une histoire littéraire à travers des portraits d’éditeurs. Lisez le « Gaston Gallimard » d’Assouline, et c’est une part énorme des lettres françaises et internationales de ce temps que vous voyez défiler.
Deux de ces bons génies du monde de l’édition viennent de disparaître, et on ne leur rendra jamais assez hommage. Il y a eu, il y a quelques mois, le tragique accident de circulation, sur la route de Genève à Paris, qui coûta la vie à Vladimir Dimitrijević, mieux connu dans le monde des livres sont le nom de Dimitri. Il dirigeait, à Lausanne, « L’Age d’homme », et son officine était une des plaques tournantes de la vie intellectuelle européenne. D’abord parce que ce Serbe d’origine avait œuvré passionnément à une meilleure connaissance des lettres slaves en occident. Mais il ne s’était pas seulement voué à cette mission. Il était, par exemple, un animateur passionné des lettres belges. On point que l’on n’exagère certes pas lorsqu’on avance que le premier éditeur belge était suisse. Il a accueilli des dizaines d’écrivains belges, auxquels il a, de plus, largement ouvert une écoute internationale, bien plus que des éditeurs nationaux n’auraient pu l’assurer. Il était l’homme des défis insensés, comme d’entamer les oeuvres théâtrales complètes d’Hugo Claus en français, qu’il avait bien entendu confiées à Alain van Crugten.
L’autre géant de l’édition qui nous a quitté est, lui, un Belge qui a donné une formidable leçon de service au livre à toute la francophonie : Hubert Nyssen. Il n‘est pas exagéré de dire qu’il a bouleversé la philosophie éditoriale de fond en comble. D’abord en fondant Actes Sud en Arles, et non à Paris. Quel scandale, et quel handicap il s’est de la sorte imposé !
Mais il en a fait un atout. Tous les aspects de la conception, de la diffusion, de la circulation du livre, il les a tranquillement bouleversés, pour en arriver à ce que son entreprise, de contestation marginale qu’elle était, devienne en fin de compte centrale et exemplaire.
Heureusement, il arrive que l’on puisse célébrer un éditeur de son vivant. A condition qu’il fasse preuve de quelque patience. Il a fallu que Maurice Nadeau, un autre chevalier sans peur et sans reproche de la cause du livre, devienne centenaire pour qu’on lui exprime de tous côtés la reconnaissance à laquelle il a plus que droit. Laure Adler lui avait consacré un premier livre d’entretien début de cette année. Mais le vrai hommage lui vient de Belgique. C’est la revue AH ! , nouvelle version de la publication de l’Ulb, qui permet de prendre la mesure de cet extraordinaire personnage. Cela tient à la qualité du questionnement auquel le soumet Jacques Sojcher, le directeur de la revue en question et à la simplicité savante et sereine de ses réponses qui nous font traverser un siècle littéraire dont il fut le grand animateur clandestin. Une conversation d’une extraordinaire richesse dont il ressort qu’il n’est qu’une force qui puisse faire de l’exercice de ce métier une manière de la croisade : la passion sans concession.
Jacques De Decker
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530