« Il disait Uzès. »
Comme le refrain d’une chanson ancienne, ces trois mots jalonnent comme autant d’énigmatiques balises le dernier livre de la poète Corinne Hoex, paru aux Editions Le Cormier. Peut-être faut-il voir dans l’épigraphe du recueil, un fragment des Villes invisibles d’Italo Calvino, une des clés de lecture des 14 chapitres qui composent l’ouvrage dont la couverture s’orne d’un dessin de Robert Lobet, plasticien et éditeur avec lequel la poète a déjà fait paraître plusieurs livres d’artiste sous le label La Margeride.
Est-il besoin de savoir qui est ce « Il » ? N’est-il pas celui qui nous indique: Vous m’inventerez ? …qui nous invite plutôt à cette invention de l’autre, mais aussi invention de soi, lecteur, de ces pages à venir, qui se glisseront bientôt sous nos paupières baissées…
« Il » a laissé la narratrice, au « je », féminin, qui clôture l’ouvrage, perdue dans la contemplation d’ Une abeille pressée, gourmande, (qui) goûte chaque pompon, s’envole vers le ciel et, prise d’un regret, d’un désir, revient aussitôt, examine à nouveau, une à une, toutes les fleurs (…) On dirait qu’en ces deux derniers paragraphes, l’atelier de la poète, mais aussi celui du lecteur peuvent se clore, travail bien fait. Chaque instant, chaque mot, butinés. Mais c’est rêverie dans laquelle le poème nous entraîne comme il se doit, laissant à chaque lecture un nouveau butin, différent du précédent, nourri des précédentes explorations d’Uzès, sous les titres qui nous y invitent et sont aussi, dans leur énumération, une forme de poésie qui s’insinue sous les paupières fermées. Lisons les pour aller en visiter l’une ou l’autre, y chercher notre butin de mots: Le vent/Trop/La terrasse/ Panorama…Ils sont quatorze ainsi, s’achevant par Chaque instant.
Le texte demande parfois à être formulé en vers, comme ceux qui ploient sous Le vent . D’autres, annoncés par Trop alternent les jeux typographiques en italique que requiert le « il disait » . On devine dans l’italique la mémoire incertaine de ce qu' »il disait », peut-être une mémoire de ce qu’on aurait voulu qu’il ait dit? Nous ne perdons pas /notre paradis. Ou cette affirmation que l’on aimerait tant qu’il ait offerte : L’orient de votre coeur/dans la boussole du mien.
Mais, ces poèmes consacrent l’absence, le départ, l’évanescence.
Ce « Il disait « , – deux mots, trois syllabes-, revient comme une psalmodie dans Les mots. On pense à Duras, à Resnais. Viennent sous les paupières les images que suscitaient les lectures anciennes « Il disait nous sommes/le seul vrai mensonge« . Est-ce la recherche, ou plutôt le pressentiment, de « toujours ce vent obscur/derrière le vent » qu’évoque Pierre-Yves Soucy dans sa Traversée des vents, deux vers dont Hoex orne l’entrée « Pas ici »… Le poète avance à pas mesurés, pour embrasser l’ampleur de l’absence: Tu n’es au monde/ que par cette absence de toi.
Car c’est d’un envahissement de l’absence que nous irrigue ce long poème évoquant celui qui disait Je serai à jamais/votre fiancé invisible. Votre fiancé infini. L’absence est de cet ordre-là, celui de l’infini. Votre inépuisable absence ajoute l’inconnu, l’autre part de ces deux solitudes amies…Des lettres s’échangent au moment du « Départ », qui ne laisse plus que le « Blanc » où seule subsiste « son ombre sur le sol »…
Il y a dans ce recueil une sorte d’apprivoisement de la mélancolie par les mots simples semés au gré d’un apaisement des paupières, qui se ferment à la violence du jour, du bleu, du blanc d’Uzès et résistent au vent qui soulève les feuilles …
Á Uzès il y a des feuilles mortes.
Et on se surprend à ouvrir le livre, au hasard cette fois, pour y trouver ce mots obscur derrière le mot… N’est-ce pas là le cheminement auquel la poésie, vraie comme celle-ci, nous invite comme à une consolation inépuisable?
Jean Jauniaux, le 4 octobre 2020.
Nous avions rencontré et interviewé Corinne Hoex à différentes reprises. Parfois, elle nous faisait lecture d’un fragment . Voici les liens vers l’entretien à propos de
Sur le site des Editions Le Cormier:
L’impression d’une réelle retenue pénètre et révèle ce lieu brûlant d’une nostalgie projetée vers l’avant, quelque chose d’une pudeur d’évocation de la relation à l’autre déjà relevée par plusieurs lecteurs à l’accueil des précédents livres de poésie de Corinne Hoex. Et, peut-on dire, cette pudeur vaut également pour ses proses. Mais comment effleurer, pour ne pas dire, convier, une telle sensibilité discrète ? Ici la figure du vent, figure sans repos qui nous enfonce dans l’impression d’un vide inaliénable ne devrait pas nous tromper au sujet de l’univers poétique que nous révèle ce titre, Uzès ou nulle part : tout ce qui demeure hors d’atteinte, tous ces paysages intérieurs, sont rejoints, touchés. Et ce serait une profonde erreur que de croire y découvrir quelque légèreté après y avoir identifié une telle obstination à tâter le fond de l’existence pour approcher au plus près ces lieux où aucune paix n’est jamais acquise, en mesure de se reposer. Au-delà de l’expérience singulière, cette parole poétique resserrée comme nulle autre, désigne un dénuement extrême, comme elle montre non moins cette fragilité secrète épousant les limites de l’expression, et où se joue la présence de ce qui s’est absenté, où se découvre un quotidien épuré de ses strates inutiles afin d’atteindre le plus démuni qui est aussi chez elle le plus dense, là où l’autre se trouve désormais : nous nous offrirons / l’un à l’autre / de beaux moment / de manque, peut-elle écrire. Ce sont les coups et blessures qui s’y dissimulent, que l’on pouvait croire un instant égarés ; et qui reviennent avec une précision de la langue, de l’expression, celle d’une passion qui embrasse le vent. Quelque chose d’une urgence, d’une brûlure traverse ce livre exceptionnel.