Michel Onfray est l’enfant terrible de la philosophie française, qui grâce à lui repend du poil de la bête à l’échelle internationale. Il est traduit en vingt-cinq langues, arbore fièrement la quatrième de couverture de son dernier livre. Et ce n’est que justice, au moins en deux sens : d’une part, il s’adresse au grand public, qu’il veut faire accéder au savoir philosophique dont il mesure plus que quiconque qu’il répond à une soif de compréhension du monde plus avide que jamais : par ailleurs, il a banni de son écriture toute forme d’affèterie jargonnante. Onfray écrit comme il parle, d’ailleurs il est probable qu’il dicte au moins en partie ses livres. N’est-il pas, aux Universités Populaires de Caen qu’il a fondées, et qui drainent un public enthousiaste, le maître de l’improvisation verbale, très préparée cependant, à l’instar d’un Socrate dont on sait qu’il ne transmettait sa pensée que par l’éloquence ?
Onfray n’a pas que des amis, cependant. Parmi sa cinquantaine de livres, il y en a pas mal qui agacent, font office de poil à gratter, et quelquefois de manière excessive. Son précédent magnum opus, consacré à Freud, n’était pas dépourvu de ce qui le menace plus souvent qu’à son tour, et qu’il doit sans doute à sa condition de Johnny Halliday de la pensée : la démagogie. Il fallait, dans ce tombereau d’attaques en règle et souvent arbitraires, faire la part du feu roulant de sa viscérale animosité.
Il en va tout autrement de « L’ordre libertaire », son tout dernier titre, qui se veut le récit de ce qu’il nomme « La vie philosophique d’Albert Camus ». Un peu plus d’un demi-siècle après la mort de l’auteur de « Caligula », et à la veille de la célébration du centenaire de sa naissance, le plus populaire des grands écrivains du XXè siècle – les tirages pharamineux de ses ouvrages en poche en témoignent, il faut dire que les lycéens qui échappent à la lecture imposée de ses romans, pièces et essais ne sont guère nombreux-, le grand homme qui n’entra pas au Panthéon parce que sa descendance était à juste titre convaincue qu’il ne l’aurait pas plus apprécié que la Légion d’honneur que, de son vivant, il avait refusé fait l’objet, de la part d’Onfray, d’un traitement exactement contraire de celui qu’il avait imposé au père de la psychanalyse : son ouvrage est une véritable célébration, un dithyrambe sans réserve, et il est difficile, avouons-le, d’y apporter la riposte.
Camus était un « juste », on le savait, mais Onfray apporte les arguments nécessaires à le confirmer. Il épluche, par exemple, les articles de celui qui fut journaliste à Alger puis à Paris, qui s’investit dans la presse avec autant de passion qu’il le fit dans le théâtre. Avec une vigilance sans faille, une façon rigoureuse de refuser toute forme d’endoctrinement, de quelque bord que ce soit. Penseur libre, il l’était éminemment, ce qui le distinguait de Sartre, dont Onfray le différencie avec un acharnement quasi obsessionnel. On ne peut rien contester de ce que son lecteur attentif dit de lui, on regrette seulement que, ne suivant pas le fil chronologique, et se moquant de l’exhaustivité que suppose le récit jour après jour d’une vie, il éveille le soupçon de ne pas tout nous dire.
Il n’empêche : Camus avait besoin d’une vraie réhabilitation de la part d’un philosophe de choc, ce qu’Onfray est d’évidence. La voilà, et on ne peut que saluer une opération aussi réussie de renflouage d’une œuvre décidément insubmersible.
Jacques De Decker
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530