La parution tonitruante du dernier livre de Salman Rushdie va susciter, suscite déjà, des réactions en tous sens, et c’était évidemment prévu. Sans cela, sa parution en de multiples langues aurai-elle été aussi précisément orchestrée ? Les grands médias auraient-ils été aussi tactiquement invités à rencontrer l’auteur, selon des quotas bien calculés, et dans des conditions de discrétion jalousement garanties ? L’information, sous toutes formes, aurait-elle été aussi disciplinairement répandue ? Bref, aurait-on eu affaire à une aussi gigantesque opération de marketing ? Comme point de comparaison, seul le lancement du premier roman de Mrs Rawling « pour adultes » pourrait être invoqué. Or, en l’occurrence il ne s’agit vraiment pas du même type de produit, entre guillemets bien entendu .
Le livre de Rushdie n’est pas un ouvrage d’imagination, il est le témoignage d’une unique expérience dans l’histoire des lettres, celle d’un écrivain frappé d’une menace de mort diffusée, selon l’usage d’aujourd’hui, instantanément a aux quatre coins du monde, désigné comme ennemi public numéro 1 par une instance religieuse dotée d’une légitimité reconnue par une vaste communauté. Cette épreuve, en laquelle l’auteur voit à juste titre un cauchemar dont il est probable qu’il ne s’éveillera jamais, contient évidemment pour un homme de lettres une provocation irrésistible à la coucher sur le papier.
La singularité, ici, est qu’il donne à lire pratiquement sans délai ce qu’il a enduré, qu’il ne le consigne pas dans un journal intime dont il prendrait la précaution qu’il ne soit révélé que plus tard, voire même à titre posthume. Souvent, des publications post-mortem, maintenues sous le sceau du secret, révèlent ainsi sur un personnage tant d’éléments inédits qu’ils forcent à le considérer sous un angle neuf : Si cette décision est accompagnée d’un délai de divulgation, elle permet de ménager d’autres personnes encore que l’auteur lui-même, qui peuvent n’avoir pas été consultées quant à l’opportunité de cette publication.
Ici, rien de pareil : Rushdie donne sans vergogne à connaître non seulement les aléas de sa vie la plus privée, mais aussi les noms de ceux qui n’ont pas pris parti pour lui, tenus pour des lâches ou des simples d’esprit, (Madame Thatcher, pour ne citer qu’elle) que l’identité de ceux qui l’ont soutenu, qu’il s’agisse de gloires internationale des lettres, parmi lesquels quelques prix Nobel réels ou potentiels au moment des événements, certains de ses gardes du corps, qui se trouvent élevés au rang d’anges gardiens de sa personne, très peu de gens ordinaires parmi les innombrables lecteurs de ses livres, relégués au rang de commun des mortels, dès lors indignes d’être pris en considération. …
La gêne que la parution de « Joseph Anton » inspire se situe dans cette forme d’élitisme dévoyé, qui trouve son apogée, en couverture du livre, dans la mention, à égalité de polices de caractère, du nom de l’auteur et de son nom d’emprunt, lui-même emprunté à deux écrivains qu’héberge depuis longtemps le panthéon littéraire universel, puisque Joseph renvoie à Conrad et Anton à Tchekhov, excusez du peu.
Ces remarques permettent de mieux formuler le malaise que l‘on peut ressentir au contact de l’ouvrage. D’une part, on a affaire à un cas extrême de pipolisation, voulue par le protagoniste lui-même, qui s’est pourtant maintes fois plaint de devoir sa renommée moins à la qualité de son œuvre – qui est indéniable – qu’à l’appel au meurtre dont il a fait l’objet. De l’autre, on assiste au processus de plus en plus répandu – et auquel l’intéressé sacrifie lui-même – de l’accession prématurée au statut de « grantécrivain » avec un « t » soudant le syntagme figé.
Il ne fait pas de doute que Salman Rushdie est un auteur exceptionnellement talentueux, mais la plus perverse conséquences de la fatwa qui l’a frappé résulte hélas de ce qu’au tribunal de la postérité il ne doive, de fait, sa renommée à la vindicte d’un ayatollah plutôt qu’à l’excellence intrinsèque de ses écrits, injustice dont il se protège non sans vanité en se propulsant lui-même dans le cercle très clos des gloires littéraires d’hier et d’aujourd’hui.
Jacques De Decker
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530