« L’ombre de toi-même » un recueil de poèmes et de photographies de Corinne Hoex

L’ombre, cette illusionniste …

La photographie et la poésie sont complices dans la capture de l’éphémère. La photographie, capture d’un fugace faisceau de lumière crée, sur la surface sensible, (argentique naguère) la perception d’un moment enlevé au cours du temps. La poésie, moment incandescent, grave l’émotion,  devenue mot, sur les parois du cœur ou de la mémoire avant de la déposer sur la feuille ? Qu’en est-il alors de « l’ombre » ? On le sait elle n’existerait pas sans la lumière, comme la musique sans silence ou, ici, la poésie sans l’ellipse, l’allusion, l’effleurement.

Avec L’ombre de toi-même, la poète Corinne Hoex prolonge aux éditions Tétras Lyre l’assemblage de la poésie avec l’image. On se souvient des gravures de Véronique Goossens qu’elle accompagna naguère du poème Les mots arrachés, ou encore, plus loin de nous dans le temps, L’autre côté de l’ombre avec des fusains d’Alexandre Hollan, et de Et surtout j’étais blonde ornée de gravures de Marie Boralevi. Dans ce quatrième opus du catalogue de la maison (créée par l’artisan poète Marc Imberechts et aujourd’hui dirigée par  Audrey Voos), Corinne Hoex signe à la fois les textes et les images, des photographies.

Il s’agit plutôt de déclinaisons photographiques à partir d’une image initiale : vue de dos, une femme à sa fenêtre est découpée par la lumière de l’extérieur dont elle est séparée par ce qui semble être la grille d’un balcon. L’épigraphe de Christian Hubin nous guide dans cette première lecture de l’image, démultipliée en différentes grosseurs de plan et différentes couleurs : Quelqu’un de dos, qui s’est quitté, attend en nous. Voici une clé qui ne quitte pas l lecture, en prolonge l’énigmatique polysémie, de chapitre en chapitre à commencer par le premier  La visiteuse. Celle-ci semble être la narratrice : Je viens avec la nuit/ Je viens dans sa maison/ A moins qu’elle ne soit celle-ci chez qui se rend l’étrange visiteuse : Je la regarde./Le jour, je n’existe pas.

Avec le deuxième volet, Le rendez-vous, la narratrice s’adresse directement à l’ombre appuyée au balcon qu’éclaire le projecteur jailli d’une chapelle : Tu viens au monde le soir. (…) De cette lumière/ chaque nuit tu nais. On se laisse alors porter par l’image poétique et par l’image visible, par la source de lumière aussi bien que par l’ombre qu’elle crée. Y a-t-il là une métaphore de la poésie : cette ombre qui n’existe que par l’éclat d’une lumière et n’est qu’illusion. Traversée de lumière. /L’illusion qui te sauve./

Mais l’ombre, si elle est illusion, est aussi illusionniste. La voici qui couronne la spectatrice penchée vers la nuit dont soudain elle est enveloppée par les arbres dont les feuillages sculptent la lumière : Il (le projecteur) saisit en passant les feuillages des arbres,/ les branches les ramures,/s’empare de la rambarde/…

C’est alors au tour d’un nouvel obstacle d’apparaître, Le mur, où se jette l’ombre coloriée cette fois dans une vertigineuse déclinaison photographique de la silhouette féminine encadrée de bleu et de jaune, qui semble danser à présent Somptueuse.Désirable/

Las, la nuit reprend ses droits. Le visage ou l’envers semble convoquer d’anciennes ou d’ancestrales frayeurs, anciennes car elles sont à l’histoire de cette femme au balcon ; ancestrales parce qu’elles naissent de cette chapelle dédiée à la Vierge de Bon Secours au XIVe siècle…Puis le projecteur s’est éteint et l’obscurité est revenue, conclut Corinne Hoex en finale de ce recueil saisissant, dans une page intitulée « Un autre possible », qui fait face à une dernière photographie de la femme au balcon la nuit. Ici l’avant-plan est une porte. S’ouvre-t-elle ? Se referme-t-elle ?

Ne revient-on pas alors à s’interroger sur ceci qui est – paradoxalement- de l’ordre de la permanence :

l’éphémère.

Jean Jauniaux, le 16 avril 2023.

L’ombre de toi-même Corinne Hoex (texte et photographies), Editions Tétras Lyre, février 2023, 64 pages – ISBN : 9782930 685694

Nous avions interviewé à plusieurs reprises Corinne Hoex, au fil de son actualité éditoriale. Voici quelques liens vers ces rencontres radiophoniques et articles:

http://edmondmorrel.be/?s=Hoex :

Uzès, ou nulle part / Valets de nuit / Décidément, je t’assassinne / Tango / Leçons de ténèbres / etc…

Sur le site de l’éditeur:

Une ombre. La visite d’une ombre sur le mur de la chambre. Elle vous saisit une nuit où vous vous croyez seule. Comme un désir lointain. Comme un autre possible. Un ensemble poétique composé à partir de photos prises par l’autrice durant l’été 2020 alors qu’une silhouette inattendue venait chaque soir lui rendre visite chez elle, sous l’éclairage du projecteur d’une chapelle voisine.

Corinne Hoex vit à Bruxelles. Historienne de l’Art (ULB), elle a travaillé comme enseignante, documentaliste et chargée de recherches avant de se consacrer à sa création personnelle. Son œuvre compte une trentaine d’ouvrages de poésie et de prose, traduits dans diverses langues dont l’anglais, le néerlandais, l’allemand, le bulgare, l’ukrainien et le portugais du Brésil. Elle est membre depuis 2017 de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.