On ne saluera jamais assez la richesse foisonnante du catalogue de la maison de production « Image Créations ». Sa directrice et fondatrice, Martine Barbé, lui a donné une ligne éditoriale d’une rigueur, d’une exigence et d’une qualité jamais démenties. « Nous produisons des films de création qui mettent l’accent sur les droits humains, le patrimoine culturel et l’Art Aujourd’hui. » écrit Martine Barbé en exergue du site d’Image Création.
Le catalogue de cette inépuisable filmothèque répond à de multiples exigences dont la première est sans doute le devoir de transmission. Ainsi pourrait-on, en visionnant l’ensemble des films, disposer d’une véritable mémoire sensible de l’air du temps tel qu’il s’est manifesté au cours des cent dernières années. Pour n’en citer que quelques uns, les documentaires Mirano 80, Manneken swing, Marquis de Wavrin, Sur la piste de Yu Bin offrent au spectateur une véritable immersion dans le temps. D’autres comme les films du regretté Claude François, abordent l’art avec cette ironie douce qui enchante littéralement les spectateurs de films comme Le Pavillon des douze ou le film (posthume) Silencieuses. D’autres enfin, notamment ceux réalisés par Roger Beeckmans, sondent les réalités sociales comme celle des MENA (Mineurs émigrés non accompagnés) avec Une si longue absence. Les grands noms de la réalisation de films documentaires répondent à l’appel d’Image Création : Roger Beeckmans, Claude François, Luc Jabon (qui prépare un film que nous attendons déjà avec impatience : Pourquoi encore penser ?, ) Françoise Lévie… Il faudrait les citer tous, comme il faudrait mentionner les directeurs photo (Michel Baudour,…), les monteurs, les ingénieurs du son, les musiciens aussi…
Le dernier film en date, Mémoires de nos mères, réalisé par Tristan Bourlard d’après le recueil de nouvelles de Marianne Sluszny (Belgiques aux Editions KER ), répond lui aussi aux exigences éditoriales d’Image Création comme l’annonce la présentation du film sur le site : « Ce film raconte à travers des récits de femmes d’aujourd’hui comment leurs mères et grands-mères oubliées de la grande guerre 14/18 ont relevé le pays, participé à sa reconstruction et ont surtout ouvert le chemin vers le suffrage universel, leur droit au travail et à l’éducation comme égales de l’homme. En quelques mois, la situation économique et sociale du pays s’améliore. Les années folles pointent le bout de leur nez. Une nouvelle génération de femmes conquiert davantage de liberté. Bien plus de cent après, » Mémoire de nos mères » résonne comme une lutte à poursuivre. »
Les femmes sont les oubliées de l’Histoire et de la mémoire que nous en conservons. Il en a été ainsi de la Grande Guerre, celle de 14-18. Pourtant les femmes y ont joué un rôle majeur comme le montrent les témoignages de quatre de leurs descendantes qui nous racontent, de façon poignante de simplicité, les souvenirs de celles qui furent les protagonistes de la guerre. On découvre dans les archives collectées par Tristan Bourlard et Marianne Sluszny (à qui l’on doit deux recueils de nouvelles inspirées de la guerre 14-18 dont Belgiques aux Editions KER a été à la base de Mémoires de nos mères), des images de ces femmes qui dans les mines, dans les usines, dans la vie quotidienne au milieu des ruines, dans les hôpitaux de campagne ont permis à la vie de continuer au milieu de la sauvagerie des combats et des ruines.
Une des qualités de ce film, outre de nous donner à voir le rôle des femmes pendant le conflit, est de nous faire réfléchir sur les années d’après-guerre. « Nos aïeules connaissent la guerre, la grande guerre, celle de 14-18 ; elles sont le plus souvent absentes du récit de l’époque. Qu’en est-il pour elle de cette « après-guerre » alors que des millions d’hommes sont morts au front ou sont revenus la gueule cassée?
Les honneurs sont là pour les soldats morts au combat. Ce sont les femmes qui vont devoir prendre sur elle, retrousser les manches, se créer un chemin vers des horizons plus heureux, s’émanciper de leur carcan de survie pendant la guerre. Elles s’appellent Marguerite, Henriette, Gabrielle, Claire… Ce sont nos grands-mères ou arrière grands-mères qui se relèvent. Ce sont elles qui entreprennent le renouveau, féministes des premières heures. » nous dit Martine Barbé. Pourtant, nous le savons avec le recul, il a fallu encore bien des années et des combats (sont-ils gagnés vraiment aujourd’hui ?) pour que les revendications les plus légitimes et les plus élémentaires des femmes soient reconnues et mises en œuvre ?
Ce sera sans doute un des effets majeurs de cette Mémoire de nos mères : dans le sillage de ce film, observer aujourd’hui l’avancement des combats féministes à la lumière des engagements de ces pionnières de l’émancipation ? Au-delà de cette question lancinante nous étreint aussi, en voyant certaines images, cette terrible sensation de voir l’histoire se répéter. On pourrait coller à certaines images d’archives vues dans le film, celles qui nous viennent d’Ukraine : mêmes maisons détruites, mêmes regards déchirants, mêmes blessures …
Ce film est un« témoin pour les générations à venir » ajoute Martine Barbé.
A n’en pas douter les qualités de réalisation du film contribueront à réunir un public attentif et sensible. Des images d’animations (chef d’œuvre !) et une musique originale (de toute beauté !) apportent au film, aux témoignages et aux images documentaires cette force d’évocation et d’émotion que, en littérature, la fiction romanesque et l’écriture dévoilent avec une puissante vérité.
Espérons que ce film trouvera son public, que ce soit lors de diffusion dans des programmes de télévision ou sur grand écran. La projection à laquelle nous avons eu le privilège d’assister hier a décuplé, si besoin en était, les qualités formelles du film (image, musique, animation) ajoutant à cette séance l’émotion singulière qu’ajoute la présence du public.
Jean Jauniaux
L’émission « Retour aux sources » sur La Trois RTBF a programmé la diffusion de Mémoires de nos mères le 7 mai 2022.