Le cinéaste Yvon Lammens à la rencontre de Colette Bitker: une traversée magistrale « Au-delà du tableau ».

Chaque film d’Yvon Lammens est né d’un long travail d’apprivoisement du sujet qu’il traite. Qu’ils soient peintres, sculpteurs, musicien, écrivain ou poète, le cinéaste se donne le temps de l’empathie avec celles et ceux devant lesquels il place sa caméra. Ce temps long, – parfois plusieurs années de tournage avant que la post-production ne soit achevée-, donne au spectateur, des films attentifs, sensibles et passionnants. La complicité – souvent amicale et affectueuse – entre le cinéaste et l’artiste filmé, ouvre la voie à des investigations inattendues du geste créatif.

Nous avons évoqué déjà plusieurs documentaires réalisés en auto-production par Lammens : Jacques Moeschal, Philippe Roberts-Jones, André Willequet, Paul Vanhoeydonck, Idel Ianchelevici, Pierre Alechinsky, Pierre Célice, Lionel Vinche, Lismonde, le musicien Georges Antoine…( et nous attendons avec impatience celui qu’il consacre à Jacques De Decker).

Son nouveau film est consacré à la peintre Colette Bitker, dont on sait l’amitié que lui portait ce dernier. Un de ses derniers textes n’est-il pas la préface qu’il consacra au catalogue raisonné des œuvres de Bitker?

« Le film est un portrait intimiste d’une artiste peintre libre et attachante de 91 ans toujours active dans son travail », écrit Yvon Lammens à l’intention des coproducteurs sollicités pour un crowdfunding. Il poursuit : « Pétrie de culture artistique, littéraire et musicale, Colette Bitker traite de l’exode, la mort, la communication, l’amour. Du Vercors à Paris en passant par Bruxelles et Venise, ses tableaux retracent les différentes étapes de sa vie. »

Yvon Lammens accompagne littéralement Colette Bitker dans le récit d’une vie. Elle témoignera de l’enfance, de l’exode dans le Vercors, des années de formation, de l’énigme de l’inspiration, du travail du peintre face à la toile, mais aussi de l’écriture dont on devine qu’elle est devenue l’indispensable complice de son art. En témoigne « Une chemise blanche dans le Vercors », véritable dévoilement par l’écriture d’une constante picturale inconsciente : la présence d’une tache blanche dans nombre de toiles de Bitker. Mais aussi le livre « Lettres à l’autre » , tous deux parus chez l’éditeur Michel de Maule.

Yvon Lammens débusque aussi les confidences dans les échanges qu’il provoque Colette Bitker et celles et ceux qui témoignent à son propos, mettant en lumière tel ou tel aspect du travail de l’artiste et de son parcours. Ce seront le cinéaste Luc Dardenne, – évoquant son professeur, le philosophe Jacques Taminiaux qui fut un ami proche de l’artiste, le réalisateur Ivan Goldschmidt investiguant la présence de la syntaxe cinématographique dans l’œuvre picturale, la journaliste Brigitte Mahaux échangeant sur la part de la musique dans l’inspiration, et l’historienne d’art Françoise Roberts-Jones.

Colette Bitker est une femme de 92 ans, rayonnante et énergique, dont le cinéaste n’a pas manqué de nous montrer l’humour autant que la gravité, l’intensité de l’œuvre autant que la diversité de la palette, l’infatigable vitalité autant que la puissance des souvenirs (de l’exode dans le Vercors, aux caves de Saint Germain des Prés, des cours dans un conservatoire essentiellement masculin, à l’infatigable affrontement avec la toile dans l’atelier bruxellois)

Yvon Lammens ajoute ainsi une nouvelle « mémoire » à son œuvre dont la transmission est la dynamique essentielle. Sans un regard patient, une écoute empathique et un sens du récit jamais démenti, il ne parviendrait pas à ce dont il nous fait ici une nouvelle démonstration particulièrement stimulante.

Pour ce film comme pour l’ensemble de la filmographie de ce cinéaste, indépendant – dans toutes les acceptions du terme –, il reste à espérer que des distributeurs ou diffuseurs lui donneront les écrans qu’un tel ouvrage réclame. D’autant plus en ces temps où l’immédiateté prépondérante escamote si radicalement l’émotion et la réflexion, l’intelligence et l’érudition dont Au-delà du tableau est tellement prodigue. Pour notre plus grand bonheur.

Edmond Morrel, le 9 ami 2022.

Prochainement L’ivresse des livres publiera un article-interview de Colette Bitker à propos de l’entrelacement de peinture et écriture.