« La nostalgie de l’aile », un récit de Pascal Goffaux, orné de photographies de Laurent Quillet aux Editions Esperluète

On sait que la radio, malgré les apparences, est aussi un art de l’écrit. Hormis pour les interventions « à chaud » ou les interviews en direct, il est rare que le journaliste s’exprime au micro sans avoir au préalable écrit le billet qu’il module ensuite, par la voix, sur antenne. On connaît la voix de Pascal Goffaux, on connaît sa manière de mettre en mots les arts plastiques qui constituent la matière principale de ses (lumineuses) chroniques sur La Première ou sur Musiq3. L’homme de radio est par essence écrivain. S’il en fallait confirmation, il suffirait d’ouvrir La nostalgie de l’aile (Editions Esperluète) et d’en lire les premières lignes pour littéralement entendre l’histoire qu’il nous révèle ici, une autobiographie de l’absence.

Homme des médias, Pascal Goffaux a raconté le propos de La nostalgie de l’aile dans de multiples entretiens radio ou télévisés, dans des articles de presse que lui consacrent confrères et consoeurs, intrigués par ce qui est toujours une énigme: le dévoilement de soi, d’une part intime d’une vie. Ici, il est vrai, le narrateur et protagoniste est un homme public, un de ceux qui font de la radio cet art singulier de l’éveil de la curiosité vers toutes les formes d’art, littérature, peinture, beaux-arts. De surcroît, on le dit pudique et qui « parle rarement de lui-même » nous disent les éditrices Anne Leloup et Charlotte Guisset. Il n’est donc pas utile de revenir ici sur le sujet du livre, ce qu’il nous raconte. Nous laissant ainsi le temps, comme dans l’interview que nous avons réalisée de Pascal Goffaux, de nous attarder sur la forme, le style, et quelques thématiques qui sous-tendent ceux-ci.

L’écriture de Goffaux – il s’agit sans doute d’un effet de sa réserve naturelle – use parfois, comme Cioran, des ressources glacées de l’humour et de l’ironie. En travaillant la phrase pour la rendre la plus objective possible, l’auteur donne à lire des morceaux d’anthologie, comme ces fragments de mémoire qui évoquent – racontés par sa mère – la naissance de l’enfant. Comme cette manière de révéler qu’il est « un accident » qui ne sera suivi d’aucun autre enfant. D’où ce manque abyssal d’un petit frère, malgré la présence du frère aîné, qui, par absurde soumission à l’autorité d’une vieille tante sans enfant, vit avec cette dernière, séparé de Pascal d’un seul étage de la maison, une distance infranchissable comme on le lira.

A la phrase détachée, glaçante succèdent des évocations d’une émotion bouleversante, comme ces passages où Goffaux nous dit ce que sont les anges, ces « grands ordonnateurs du hasard »; lorsqu’il évoque l’apparition de l’un d’entre eux, incarné en un étudiant apparu à la fin d’un cours que donne l’auteur dans un amphithéâtre de l’université, être diaphane qui lui transmet, comme un viatique, la parabole de l’image et de l’imaginaire. Son prénom est identique à celui du frère aîné, Philippe. La mémoire de ce qu’il représente hante tout le livre, à partir de la rencontre initiale. Evocations aussi de la mer, que ce soit à Coxyde ou à Saint Malo. Pour ce dernier lieu, le cheminement de la plume de Goffaux suit avec une fluidité lumineuse les méandres de la mémoire: celle des études secondaires à Saint-Michel, du professeur de français, M. Dujardin, de la découverte grâce à lui de Chateaubriand et enfin, la mémoire d’un extrait fondateur de « ce livre fleuve »: J’étais presque mort quand je vins au jour….(…)<dans> la chambre où ma mère m’infligea la vie… Similitude avec l’incipit de Goffaux: Je suis né malgré moi. Je ne voulais pas.

On pourrait à l’infini tirer les fils de cette laine si fine qui constitue la trame mémorielle du livre, citer les rencontres de l’auteur avec Aliocha Schneider, avec Vianney, partager les visions qu’inspirent des peintres comme Delacroix (Le combat avec l’ange), découvrir des écrivains comme Emmanuel Bove (par le titre vertigineux de la biographie que lui consacrent Cousse et Biton: La vie comme une ombre )…mais c’est par les évocations du métier de la radio que, nous semble-t-il, Pascal Goffaux trouve les mots les plus justes pour donner à son récit la vraie lumière. La vocation de la radio a été de toute première heure la vraie et pleine vocation du jeune Pascal Goffaux, comme une évidence dont il dévoile ici, en filigrane du livre ou de façon explicite dans certains fragments: lorsque enfant, Goffaux est fasciné par la voix qu’il entend à la radio, Elle venait de nulle part, comme moi Et puis l’évidence de la vocation qui se confirme à jamais: Je voulais faire de la radio parce que je voulais parler à quelqu’un qui n’était pas là.

Les photographies de Laurent Quillet qui qui prennent place en fin de volume, sous l’exergue Faites comme si je n’étais pas là, inversent le processus de création radiophonique propre à Goffaux, évoquer par les mots les oeuvres invisibles à l’auditeur dont il rend compte. Des photographies de famille, l’artiste efface un enfant (lui-même) jusqu’à n’en laisser qu’une trace diaphane (dans les bras de sa maman à la maternité, sur la chaise haute le jour d’un anniversaire, ou, sur la plage, jouant avec son père au cerf-volant).

D’autres photographies, issues de l’album familial de Goffaux cette fois, et laissées intactes, viennent illustrer deux séquences du récit. L’auteur voulait-il par cette redondance (la photo confirme le texte) faire la démonstration de la vérité qu’il nous dévoile?

Jean Jauniaux , Décembre 2021

Pour voir l’interview sur youtube

Sur le site de l’éditeur:

Voici l’histoire d’une non-histoire, celle d’un homme qui aurait préféré ne pas être. Affublé d’un corps qui n’a pour lui que peu de réalité, il peut sans difficulté exister à côté de son enveloppe charnelle. Il devient alors observateur de sa propre identité et revient à la source, celle de son enfance. Une enfance marquée par un double manque : la relation avec un frère aîné qui habitait sous le même toit, mais qui était exclu du noyau familial, et la présence-absence d’un troisième enfant dont il occupe la place dans l’imaginaire familial. En grandissant, il recherche le frère manquant. Il l’a découvert jeune adulte en la personne d’un étudiant qui semblait exister à sa place. Cet Uriel moderne, archange solaire, ne fit qu’accentuer la solitude mortelle causée par l’effacement de sa personne. Une seconde rencontre, celle d’un chanteur tout aussi angélique, creuse cette disparition de soi comme programmée dès l’enfance. Ce récit d’une construction malgré soi, traversé par une nostalgie sans fond, tempéré par la présence bienveillante de la famille actuelle du narrateur et par la révélation de la radio – où le son prend la place du corps – emmène le lecteur dans un univers à l’écriture singulière et sensible. Une expérience de lecture proche de l’apnée où Pascal Goffaux nous emmène dans l’intimité de son enfance, avec un humour noir, mordant, à la limite de l’autosabotage.

Laurent Quillet explore cette non-présence au monde dans un travail d’effacement volontaire de sa personne sur d’anciennes photos de famille. Les univers de ces deux hommes se rejoignent et se répondent. Dans leur démarche d’absence et de retrait du monde, ils ont trouvé leur alter ego.