Nous avions déjà annoncé la publication de ces « récits » aux éditions Le Taillis Pré , ornés d’illustrations de Maja Polackova. Nous vous proposons une interview video du dramaturge, académicien et écrivain Paul Emond à propos de ce livre paru fin 2020.
Yves Namur, fondateur et directeur des Editions Le Taillis Pré a été bien inspiré d’ajouter à son catalogue, constitué principalement de recueils poétiques, ces récits singuliers de Paul Emond. En quatrième de couverture, l’auteur met en garde le lecteur, avec cet humour et cette ironie qui caractérisent l’ensemble des récits :
Âme sensible sur le point d’ouvrir les pages brûlantes de ce livre, je te le dis en toute amitié : retiens ton geste et agite ta réflexion sept fois dans un sens et sept fois dans l’autre. Es-tu certain de ne pas succomber, toi aussi, à la fascination du miroir dans laquelle s’empêtre le narrateur de ces récits ? Te sens-tu suffisamment aguerri pour résister au chant de pareilles sirènes ? Si tel n’est pas le cas, soumets-toi à l’injonction que je t’adresse sans craindre de le faire sous l’autorité du grand Lautréamont : dirige tes talons en arrière et non avant ! Dirige tes talons en arrière, que tes yeux renoncent à me lire, et poursuis ton chemin !
On ne peut s’empêcher de songer à certains auteurs russes (Gogol) ou nouvellistes ayant abordé le fantastique (Maupassant), ou encore à l’école du réalisme magique ou de l’absurde (Ionesco n’est pas loin), lorsque l’on aborde ces étranges dialogues noués entre le narrateur et son reflet dans un miroir. Chacun des récits débute de la même façon, par un constat de ce que fait, annonce, déclare, montre, s’étonne, s’indigne, se moque Ma tête dans le miroir…
Ainsi nous aurons Ma tête dans le miroir /qui rit aux éclats,… /(avec qui) nous nous adonnons aux joies disciplinées de la gymnastique…, /et une cravate à nouer…/qui me regarde d’un air triomphant… Chacune des séquences de ce face à face est un prétexte à des interrogations banales ou métaphysiques, quotidiennes ou universelles, exprimées avec un sens de la formule adapté à chacune des situations. Ainsi l’apparition d’une moustache sur le visage du narrateur ne manque pas de créer un rejet catégorique de la part du miroir. Ou alors, dans cette séquence intitulée Masques, le narrateur s’interroge à propos de sa tête dans le miroir: C’est elle et en même temps ce n’est pas vraiment elle. mais si ce n’est pas vraiment elle, suis-je encore moi?
Ainsi, sous les apparences de la légèreté et de la comédie, se dissimulent des questions qui donnent parfois le vertige, comme celles portant sur le libre arbitre ou évoquant la jeunesse du narrateur, de façon fulgurante: A quoi bon être sorti du rang en me glissant sous le rideau de fumée d’une joyeuse troupe de mots qui passait devant ma porte un beau jour de printemps? Le vertige et l’humour ne sont pas sans s’accompagner (et c’est une caractéristique de l’absurde) d’une dose tellurique d’angoisse.
A l’écriture allègre de ces saynètes on reconnaît la patte du dramaturge et de l’adaptateur de théâtre qu’est Paul Emond. Sa finesse d’observation s’accompagne d’une forme irrépressible de tendresse à l’égard de son narrateur et de son reflet. On devine combien le regard de l’un et de l’autre ont dû pétiller d’allégresse à écrire ces pièces dont on se dit qu’elles feraient un stimulant spectacle . Contemplant les « bonshommes découpés » que ces textes ont inspiré à Maja Polackova qui en illustre cette édition, on devine combien la fantaisie a été joyeusement partagée!
Nous avons rencontré Paul Emond et demandé qu’il nous raconte la genèse de cette exploration du miroir, dont les intérieurs (…) sont de vraies salles des pas perdus… et dont un des récits, empli d’autodérision, intitulé Paul Emond , devient au fil des pages un facétieux autoportrait écrit avec une espièglerie déroutante, à lire au deuxième degré (sans doute), lorsque la tête dans le miroir s’exclame, indignée, s’adressant au narrateur: (…)Monsieur, dans ce miroir je suis la tête de Paul Emond. Vous n’êtes pas Paul Emond. On s’inquiéterait à moins. Le narrateur confit reconnaît alors : (…) C’était avec une telle subtilité que je m’étais glissé dans ce personnage, que j’imitais ses tics et ses tocs, que je répétais à l’envi ses expressions favorites. Dommage, je m’amusais bien à être ce Paul Emond, … suivent alors une succession de traits de personnalité de Paul Emond dont je vous laisse le bonheur de découvrir la sévérité hilarante de la description…(p.107)
Edmond Morrel, le 29 décembre 2020
Pour en savoir davantage sur Paul Emond, on se référera à sa notice biographique , signée Joseph Duhamel parue sur le site de l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique et au discours prononcé par Gabriel Ringlet lors de la réception d’Emond à l’Académie le 20 octobre 2012.
On peut également trouver sur le site de l’Académie la communication de Paul Emond à propos du Théâtre de Jacques De Decker dont il établit l’édition complète, accompagnée d’une magistrale présentation introductive. Cette présentation existe en video et en PDF.
Une interview de Paul Emond à propos du « Théâtre » de jacques De Decker est également accessible sur le site de « L’ivresse des livres » en cliquant ICI.