Dans le paysage politique, culturel et littéraire belge francophone, la silhouette de Richard Miller est familière. Homme politique, ancien ministre de la culture (une des rares occasions dans la vie politique de notre pays où un homme de culture est en charge de cette compétence si spécifique), nouvelliste, philosophe (on lui doit la création du concept d’imaginisation du réel auquel nous avions consacré déjà une interview toujours en ligne), cinéphile passionné, éditeur (il a créé avec son complice Jean Meurice les Editions du Cep , nous l’avions rencontré au lancement de cette nouvelle maison d’édition), créateur de revue (« Ulenspiegel » est la plus récente revue papier apparue dans le foisonnement médiatique virtuel…Richard Miller l’évoquait récemment à notre micro. ).
C’est dans la dernière livraison de celle-ci que Richard Miller publie la première partie d’un « Essai d’autobiographie imaginiste » sous le titre Moëlle Ritale »
On le sait, c’est dans l’enfance que réside une grande part de l’invention littéraire chez les écrivains. Dans le cas de Miller, l’exercice de l’autobiographie s’est présenté comme une nécessité d’écriture, à un âge et au terme d’une activité multiple comme en témoigne le premier paragraphe de cet article. Le recours à un langage nouveau, à une forme d’écriture inédite s’est peut-être imposée à l’homme public Richard Miller, par une sorte de pudeur ou de réserve. Le résultat en est d’autant plus saisissant pour le lecteur de cette vingtaine de pages, d’une densité émotionnelle sublimée par la sincérité et la liberté que le langage nouveau octroie à l’auteur. Le surgissement de l’enfance, marquée par un handicap physique dû à la poliomyélite et la misère sociale (dans la ville de Lodelinsale ou Lodelingesale Miller est issu de ce qu’il qualifie de sous-prolétariat) trouve toute son ampleur tragique dans la formulation imaginiste , libérant le narrateur de la simple réalité des faits, aussi cruels et injustes fussent-ils, pour en exprimer l’émotion à l’état brut. Comme si, au lieu de se trouver face à la photographie d’un état, on était immergé dans sa représentation la plus brutale. Citons un bref exemple de cet effet de libération des sens:
HÔPITAUX où le silence des larmes se répéta de la douleur inséminée dans le bras inutile de gauche douleur ampérée par une électrication médicalement cruelle‑! Électriser la myélite des os et des muscles «‑Courage‑! ça va réveiller ton bras‑!‑» [comment plus tard Richard apprit-il que le très militaire Frédéric Guillaume Victor Albert appelé GUILLAUME II (deux) endura lui aussi la dualité incompréhensible des + et des – dans son bras passé l’arme à gauche‑?]. Les portes battantes du couloir inHospitalier s’ouvrent sur un «‑Rien ne fut possible qui ne fût tenté‑».
Nous avons interviewé Richard Miller à propos de cette Moëlle Ritale et découvert à cette occasion le projet qu’il avait de prolonger ce récit au delà de ces pages-ci qu’il publie (comme un ballon d’essai) dans la revue Ulenspiegel dont le titre ne pouvait être meilleur réceptacle pour un tel texte qui explore le langage en le ré-inventant.
Au terme de cet entretien, notre espoir est d’avoir convaincu Richard Miller de poursuivre ce récit. Du romancier, Mauriac disait qu’il devait gratter jusqu’à l’os pour arriver à une forme de vérité. Dans le cas de Miller, on va au-delà: jusqu’à la moëlle…
Jean Jauniaux, le 10 octobre 2020.