Encyclopédiste et éditeur, directeur de collection et de revue, producteur de podcasts (notamment un « Proust » passionnant auquel il a aussi consacré un des ouvrages les plus stimulants parus à l’occasion du centenaire du décès de l’écrivain : Proust océan ), Charles Dantzig poète et écrivain se lance, lorsqu’il commence à écrire un nouveau roman, tous les défis qu’il aimerait sans doute découvrir dans les manuscrits qui lui sont soumis. Sans doute est-il aussi confronté aux vertiges que lui ont inspirés les chezfs d’oeuvre auxquels il a consacré deux dictionnaires devenus des classiques du genre: Dictionnaire égoïste de la littérature française et le Dictionnaire égoïste de la littérature mondiale , l’un et l’autre usant de l’espièglerie, de l’insolence, du politiquement incorrect mais surtout d’une érudition sans faille pour revisiter les oeuvres.
Alors, aujourd’hui, Dantzig se lance à l’assaut de Paris, « la capitale du jugement éternel ». C’est dire qu’on l’attend au tournant (diront les mauvaises langues) ou qu’on s’enthousiasme déjà à l’idée de découvrir ce que Dantzig va nous en raconter, mais surtout, comment il va le faire (diront les aficionados de l’auteur de l’Histoire de l’amour et de la haine et les auditeurs de ce programme radio qu’animait Charles Dantzig sur France Culture : « Secret professionnel » où, notamment était évoqué James Joyce et Dublin…
Et le lecteur n’est pas déçu qui se laisse emporter par le dédale littéraire de l’auteur singulièrement inspiré par cette liberté de ton et de forme qu’il choisit de donner à son roman. Il y a du Perec ici, du Prévert aussi (Ah! l’évocation du 24 décembre et sa frénésie acheteuse de luxe !) , des animaux des rues qui se parlent et s’interpellent, des phrases entendues (on dirait « Choses vues » de l’autre romancier de Paris…) qui se déroulent au bas de certaines pages, comme la bande sonore d’une caméra cachée, de la subversion grammaticale aussi (par exemple lorsque le « il » de « il neige » est pris à partie! et rendu responsable des dégâts qu' »il » crée), l’imaginaire du lecteur est happé par le cheminement démultiplié du récit, hypnotisé par le mouvement incessant des points de vue, leur enchaînement que rien ne semble pouvoir interrompre, ne serait-ce que pour souffler un instant. Seuls les animaux – qui ouvrent chaque chapitre- nous donnent un peu de répit, en jouant les fabulistes : une mite alcoolisée, des rats, un chat, un corbeau,un papillon de nuit, une renarde, des cygnes etc…-. Ils nous donnent un peu de recul avant l’envolée lyrique ou pointilliste à laquelle inépuisable nous enchaîne Dantzig, enivré par cette polyphonie littéraire qui invente un genre, comme il l’avait fait avec ses dictionnaires et se encyclopédies, comme pour rire de tous ces savoirs éphémères, nourris d’observation urbaine, d’érudition littéraire, de science historique et sociale, mais surtout d’une capacité inédite à se renouveler sans cesse, comme pour ne pas s’ennuyer dans les ornières du tout-venant.
On ne se lasse pas de lire ce livre, mais aussi d’y revenir, ici et là, picorer une phrase, une image, une formule, une trouvaille. Il faudra penser à faire de ce livre un nouveau dictionnaire « égoïste » du roman de Paris que Dantzig signe ici en s’inscrivant dans la lignée des bâtisseurs de mythes littéraires.
Jean Jauniaux, le 7 janvier 2024.
Nous avons rencontré à plusieurs reprises Charles Dantzig. L’ensemble de ses interviews est disponible sur les sites de www.espace-livres.be ou sur les chaînes youtube ou soundcloud de « L’ivresse des livres »
un exemple: interview de Charles Dantzig à propos de « La diva aux longs cils »
Sur le site des Editions Grasset
Que peuvent avoir en commun Victor, écrivain vieillissant qui ne publie plus et devient un commentateur d’actualité grincheux, son amie Gabrielle, galeriste quinquagénaire éprise d’un homme beaucoup plus jeune, le fils de Victor, la mère et la fille de Gabrielle, des étudiants qui tentent de devenir artistes, des provinciaux qui rêvent de se faire une place, un escort brésilien, le chat Xanax et le teckel Guillaume, un cadavre qui disparaît, un éléphant qui s’échappe et tant d’autres personnages de cette ronde qui efface les frontières entre les espèces, les espaces et les temps ? Tous vivent à Paris, cette scène du jugement perpétuel. Or, « Paris est un combat ». Certains cherchent la clef pour conquérir la capitale, d’autres croient l’avoir, d’autres l’espèrent, d’autres pensent qu’elle n’existe pas. Qu’adviendra-t-il des ambitions de chacun ? Parmi les mille inventions de ce roman qui fourmille de trouvailles, de traits d’esprit, de brio et de profondeur, soulignons quelques surprises : au début de chaque chapitre, un animal parle, animal domestique ou symbolique du personnage qui va suivre, et traité à égalité avec lui. De temps à autre, les rues de Paris se complètent de « déroulés historiques » : leur bitume est retiré, des rambardes s’élèvent et les passants assistent, comme du balcon d’un théâtre, à des scènes du passé, celles de la Libération aussi bien que des conversations des « précieuses » de l’hôtel de Rambouillet. En bas de page, quand les personnages se trouvent dans la rue, sont notées des bribes de phrases qui forment la bande passante de conversations saisies au vol en marchant. On n’est pas plus obligé de les lire que de les écouter, mais elles contribuent à donner sa tonalité à la capitale.
Une façon nouvelle de raconter des vies nouvelles, dans un Paris désordonné, vivace, imprévisible, créatif. Sous les auspices de l’Ulysse de Joyce, du Berlin Alexanderplatz de Döblin et du Petersbourg de Biély, une histoire à la fois contemporaine et mythologique, un grand roman de la ville.