Les anniversaires sont une belle occasion de mettre en lumière l’oeuvre des grands classiques. De plusieurs façons : en leur consacrant des études, colloques et autres expertises savantes, en les rendant à nouveau accessibles dans un format contemporain, en nous racontant leurs biographies (comme l’avait fait Jean-Baptiste Baronian dans la collection FOLIO-BIographies), mais aussi en leur donnant une nouvelle vie par l’adaptation sous différentes formes.
Baudelaire – dont on célèbre en 2021 le bicentenaire de la naissance – n’a pas échappé à cette commémoration bienvenue. Que ce soit par la publication en livre de poche (citons la réédition en FOLIO des Fleurs du mal dans une édition remarquable de Claire Cerquiglini et avec des photographies de Mathieu Trautmann) ou, ici par une adaptation libre de sa biographie revue et réinventée par Yslaire dans un éblouissant roman graphique Mademoiselle Baudelaire .
Le roman biographique , impose le choix d’un point de vue narratif. Par cela, il dévoile certains aspects du réel qui échappent à l’observateur « objectif ». Il offre aussi l’occasion au biographe d’imaginer et de réinventer les parts d’ombre. Dans le cas du roman graphique, le dessin ajoute une exigence supplémentaire de représentation du réel: il oblige à donner à voir l’histoire à travers les corps, les visages, les lieux.
Yslaire dans une oeuvre magistrale nous raconte la vie de Charles Baudelaire. Son point de vue fictif est celui de la « Vénus noire », Jeanne Duval, comédienne et soubrette que Baudelaire voit une première fois sur la scène du théâtre du Panthéon et qui deviendra l’inspiratrice de ses plus beaux poèmes réunis dans Les fleurs du mal. Le roman débute à l’enterrement du poète, le 31 août 1867. Le fil narratif sera une longue lettre qu’Yslaire attribue à Jeanne Duval, lettre adressée à Madame Aupick, la mère adulée du poète. Par cette lettre, Jeanne Duval demande sa part d’héritage ( on ne saura qu’à la fin de l’album ce qu’elle souhaite recevoir). Elle raconte aussi ce qu’elle sait de Baudelaire et dont s’empare Yslaire pour nous plonger dans une biographie éblouissante du poète.
Nous avons rencontré par ZOOM interposé l’auteur de Mademoiselle Baudelaire qui nous raconte la fascination qu’il porte à l’auteur des Paradis artificiels, mais aussi le travail de recherche et de création d’un ouvrage commencé en 2020 et publié à l’échéance du centenaire, le 21 avril 2021. Rencontre avec un artiste attachant, érudit, qui nous donne ici une fascinante vision d’une époque et d’un artiste.
Jean Jauniaux, le 8 juin 2021.
Deux cents ans après sa naissance, Baudelaire continue de marquer les générations et le poète plane sur l’uvre d’Yslaire depuis les origines. C’est pourtant Jeanne Duval, celle que le poète a le plus aimée et le plus maudite, que le dessinateur a choisie pour revisiter dans ce chef-d’uvre la matière sulfureuse et autobiographique des Fleurs du mal.
De Jeanne, pourtant, on ne sait presque rien, ni son vrai nom, ni sa date de naissance, ni sa date de décès. Aucune lettre signée de sa main ne nous est parvenue. Restent quelques témoignages, des portraits dessinés par Baudelaire lui-même, une photo de Nadar non authentifiée, sans oublier les poèmes qu’elle lui a inspirés. Jeanne, « c’est l’invisible de toute une époque » qui réapparaît dans la résonance féministe de la nôtre. Elle qui était stigmatisée comme mulâtresse, créole et surnommée « Vénus noire » en référence à la « Vénus hottentote », aimante tous les préjugés d’un siècle misogyne et raciste.