Avec cette quatrième livraison, la revue créée par Richard Miller et Jean Meurice confirme sa nécessité dans le paysage intellectuel et sensible de la Belgique francophone confinée.
La variété des points de vue et des sujets permet de s’engager avec le recul nécessaire dans différentes problématiques inspirées de l’actualité électorale américaine. Mais pas seulement. D’autres articles explorent plus largement l’état de l’Amérique par le biais par exemple des panneaux publicitaires que nous raconte et nous montre Anouchka Van Riel, productrice de cinéma et directrice du festival du film français à Los Angeles. L’originalité de son approche, tant par le récit que par la photographie, réside dans le partage d’une traversée des « flyover states », ces Etats que même les Américains des côtes ouest et est ne font souvent que survoler.
Autre article à épingler, mais ils mériteraient tous d’être évoqués ici, celui dont Jean-Paul Marthoz emprunte le titre à Walter Lippman et à son Liberty and the news » paru en 1920: La crise de la démocratie américaine est une crise du journalisme » . Dans cet article passionnant, Marthoz propose une analyse de l’histoire des USA à travers celle de la presse et des médias, de ce quatrième pouvoir reconnu par le Premier amendement de la Constitution et qui en est l’expression la plus solennelle. Voici le texte tel qu’il a été ratifié en 1791…« Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. »
La littérature n’est pas absente, ni la philosophie comme le montre la présence de deux articles du philosophe Richard Miller. Dans une évocation éclairante de John Locke et de sa Lettre sur la tolérance (1686), Richard Miller souligne l’apport de Locke à « la naissance de l’humanisme européen, à la conceptualisation de l’individualisme à travers sa définition de la conscience de même qu’à la mise en valeur des libertés individuelles »… Mais, il s’agit de préciser les choses, comme l’annonce le titre de l’article: L’Amérique du « Dr Locke and Mr John » ou comment être tolérant et négrier!… Cet article détaillé, érudit, nourri de références nous apporte un éclairage contrasté et indispensable pour lire l’Amérique d’aujourd’hui et son histoire. Du même Miller, un article qui est le prolongement d’une conférence donnée au Collège Belgique: A travers Sexus d’Henry Miller: la littérature américaine et Deleuze. (Profitons de cette opportunité pour rappeler la parution d’un livre d’entretiens avec Henry Miller que Pascal Vrebos, étudiant en journalisme, enregistra en 1979 en empruntant le Nagra de Gérard Valet. Pascal Vrebos nous raconte cet épisode dans un entretien qu’il nous a accordé et qui figure toujours dans « L’ivresse des livres » )
Au moment d’écrire cette recension qui est une invitation à vous procurer toutes affaires cessantes cet indispensable Ulenspiegel, nous n’avons pas encore lu l’ensemble des articles et contributions constituant le « dossier USA » et réunissant les signatures de Serge Jaumain, Bechir Rassas, Guy Haarscher, Eric Clemens, Pierre Chiron, Karina Yamamoto, Jean-Paul Fargier, Michel Gheude, Léa de Haaij, André Lange et Dominique Costermans (qui propose une « humeur »).
Dans les Varia, la revue propose, entre autres contributions, un article approfondi consacré à l’oeuvre de traducteur de Jacques De Decker, article accompagné d’une interview de l’écrivain qui nous a quitté il y a presque un an. Et l’article de Thilde Barboni et l’entretien qu’elle a mené avec Jacques De Decker, nous éclairent sur une des activités littéraires auxquelles celui qui est aussi romancier, nouvelliste, dramaturge et journaliste, s’est consacré avec le plus de constance dans l’inspiration et la réflexion sur ce travail de passeur. Répondant aux interrogations stimulantes de Thilde Barboni (qui est aussi linguiste, scénariste et romancière) Jacques De decker développe L’hypothèse de l’apesanteur linguistique qu’il avait déjà abordée dans un colloque en 2010 (« Translatio in fabula » ).
La revue Ulenspiegel rend ainsi de belle manière hommage à un des esprits les plus érudits et attentifs du paysage intellectuel et artistique francophone, en lui donnant l’occasion d’évoquer son propre travail. S’agissant d’une personnalité qui a consacré l’essentiel de son énergie à mettre en valeur le travail des autres, il y a ici un hommage d’autant plus pertinent qu’il rend compte également d’une manière de mettre en valeur les oeuvres « des autres », mais, cette fois-ci en se les appropriant par la traduction… Sans doute y a-t-il là un clin d’oeil que nous adresse Jacques De Decker depuis les coulisses du théâtre où il se trouve dorénavant et continue d’être, pour celles et ceux qui l’ont connu, une référence en matière d’exigence morale et esthétique.
Jean Jauniaux , le 3 avril 2021
Dans les prochains jours, nous aurons l’occasion d’interviewer Richard Miller à propos de la revue Ulenspiegel, mais également de l’actualité des Editions du CEP et de l’Atelier des Capucins. Nous avions déjà évoqué avec lui , entre autres, un texte autobiographique « Moëlle Ritale » parue dans le n° 3 d’Ulenspiegel , et la publication de « L’imagination du réel » le livre tiré de sa thèse de doctorat en philosophie.
Sur le site de la revue Ulenspiegel:
Le Dossier du 4ème numéro d’Ulenspiegel est consacré aux Etats-Unis. Sujet d’une actualité brûlante : l’ensemble de la société américaine de même que la communauté internationale tout entière attend de voir comment Joe Biden va entamer son mandat présidentiel. Quelle sera la marge de manœuvre du nouveau président dans un pays de plus en plus divisé entre Démocrates etRépublicains ? Comment va-t-il réussir à développer une politique anticovid, à développer une politique pour le climat, relancer l’économie américaine et lutter contre les tensions interraciales ? Devrat-il composer avec les Républicains ? Si oui, parviendra-t-il à maintenir la gauche du parti Démocrate ? Sans parler des conséquences internationales désastreuses de la période Trump.
Pour fournir au lecteur les clés lui permettant de saisir les enjeux de l’Amérique d’aujourd’hui, Ulenspiegel, conformément à sa ligne éditoriale, multiplie les approches politiques, économiques, culturelles, philosophiques et historiques depuis la naissance des Etats Unis jusqu’à nos jours. Différents auteurs comme Serge Jaumain, Guy Haarscher, Richard Miller, Eric Clémens, Michel Gheude, Dominique Costermans…, signent des textes qui ne sont pas seulement des analyses mais qui ouvrent aussi des perspectives.
Dans les Varia, on lira un hommage à l’extraordinaire homme de culture qu’était Jacques de Decker, ainsi qu’une étude – très rare – sur les réseaux de résistance belges ayant permis de sauver des Juifs durant l’occupation nazie, et aussi de rapatrier vers l’Angleterre des centaines de soldats britanniques qui n’avaient pu gagner Dunkerke.