Faire du meilleur ami de l’homme, le protagoniste voire le narrateur d’un roman (graphique dans le cas qui nous occupe) permet d’adopter un point de vue à la fois incisif mais plein d’indulgence sur les petits travers, les grandes ambitions, les grandeurs et petitesses de l’humanité. Les plus grands écrivains se sont essayés à cette façon d’aborder le récit romanesque à hauteur de chiens qui avaient nom Fluch (Virginia Woolf) ou Argos (dans l’Odyssée) ou d’autres encore, personnages attachants de romans situés au coeur de la première guerre mondiale. Le chien Prince d’Alice Ferney ou Guillaume de Jean-Christophe Ruffin sont des exemples récents.
Dans Une chienne de vie, Floc’h nous fait le récit de la vie d’Ophélia, la petite teckel à poil dur adopté par le dandy parisien Floc’h et sa femme, Marion (figure centrale de La femme de ma vie qui paraît en même temps que ce livre-ci). Le livre se déroule à Biarritz et dans le Pays basque où , délaissant la Ville Lumière, s’est installé le couple Floc’h (avec , pour les besoins du récit, une de leurs filles, une jeune adolescente qui commente les péripéties et les rencontres qui jalonnent le livre.
Comme dans tous ses ouvrages parus dans des collections « jeunesse », Floc’h nous en dit bien davantage que ce qu’il nous montre. Ce fut le cas dans les romans graphiques Où mène la vie?, La belle vie ou encore La femme de ma vie. A travers ces séquences qui tiennent chacune en une page (hormis un superbe coucher de soleil sur la Côte des basques qui méritait bien la somptueuse double page centrale de l’album), Floc’h porte un regard attendrissant et empli d’aménité sur la nouvelle vie qui s’ouvre à lui lorsque, au lieu d’une petite soeur que lui réclame sa fille, il choisit d’adopter Ophélia. Le papa et sa fille quittent la « maternité » au début de cette histoire pour redécouvrir le monde à travers les yeux de la flegmatique Ophelia. Installée comme une reine ( ou plutôt comme une impératrice) , celle-ci mène par le bout du museau Floc’h et sa fille au fil des pages. Avec cet humour que les anglais appellent l' »understatement » et que Floc’h a magistralement transposé dans les situations qu’il dessine (ligne claire s’impose!) au fil d’un récit que nous ne nous lassons pas de relire. Première lecture: attendrissement devant cette petite chienne autour de laquelle la vie s’organise dorénavant (apprentissage de son langage par les maîtres, observation amusée de sa vie sociale (alternant le plausible , « chez la toiletteuse », et ces extravagances Floc’hiennes (faut-il écrire « Flo-chiennes »?) dont s’amuse notre Parisien en si heureux exil: « Chez la comportementalisme canine », « Membre d’un club privé » (notre préférée), « Chez Shakespeare & Co » (Est-ce Hemingway que Floc’y y croise? à moins que ce ne soit un autre des Tumbleweeds ayant fréquenté la librairie parisienne de Sylvia Beach? ). Deuxième lecture: l’émerveillement devant la manière dont Floc’h nous dit son amour pour le pays basque, pour Biarritz, les Pyrénées, avec cette manière stupéfiante de dire en ligne claire l’histoire d’une région, la manière d’y vivre, l’originalité des lieux et des traces que la grande Histoire y a laissées. Ainsi le golf, le Musée de la mer, la pelote basque et le surf y ont la part belle, mais aussi la beauté sidérante des lieux. Et puis il y a cette troisième lecture qui permet d’aller visiter chaque page dans les détails qu’une (fausse) simplicité avait escamotés, en premier lieu l’expression des visages et des regards de Floc’h, de sa fille et bien sûr d’Ophélia. Il y a dans les échanges entre ces trois là, une tendresse, une bienveillance, un amour qui sont peut-être les trois traits de caractère les plus profonds de Floc’h. Est-ce parce qu’ils sont tellement intenses, qu’il choisit de les dissimuler (d’essayer à tout le moins) sous la fausse simplicité d’un trait venu en droite ligne de l’encrier du coeur?
Abandonnez-vous sans modération à ce voyage dans le pays basque. L’enchantement est de chaque instant. Et surtout, ne le réservez pas aux enfants comme pourrait vous y inciter la collection « jeunesse » dans laquelle paraît ce livre à prescrire à tous, tous âges confondus!
Jean Jauniaux, le 3 mars 2021.
Nous avons eu le bonheur de rencontrer Floc’h à différentes reprises et de l’interroger sur certains de ses livres récents:
« La femme de ma vie », « Une amitié singulière » , « Edimbourg » (Travel Book Vuitton), « La belle vie », « Inventaire », « Où mène la vie? » ,« Une vie exemplaire ».
Sur le site de l’éditeur, Seuil jeunesse:
Le dandy parisien Floc’h a quitté Paris pour le pays Basque. Cette nouvelle vie lui a inspiré un livre délicieux, dont l’héroïne est Ophélia, une adorable teckel à poil dur qui, le lecteur s’en apercevra vite, ne manque pas de points communs avec son maître !
Il ne faut jurer de rien. Qui eût cru que Floc’h aurait un jour un chien. Qui eût dit que ce chien lui inspirerait un livre délicieux. Ophélia existe, je l’ai rencontrée. Elle est élégante, joueuse, un brin mégalo et ne s’en laisse pas conter. Une jeune teckel à poil dur taillée pour la dolce vita, qui fait un arc-en-ciel de l’exclamation “chienne de vie”. En cela, elle ressemble à son maître.
Floc’h, qui traite les enfants comme des grands (et quelquefois les grands comme des enfants), utilise toutes les couleurs de son existence pour nous peindre de belles histoires, comme autant de fenêtres ouvertes sur nos propres vies. Voyez comme il fait envie, le pays Basque où nous entraîne sur les pas d’Ophélia cet imprévisible dandy dont on aurait juré que jamais il ne quitterait Paris. (Jean-Luc Fromental).