C’est aux Editions du Seuil que paraît Dans le ventre du Congo le troisième roman de l’écrivain congolais Blaise Ndala. C’est au Canada, où il réside après avoir fait ses études de droit en Belgique et s’être spécialisé dans les droits humains, qu’il publie J’irai danser sur la tombe de Senghor (L’interligne, 2014), – couronné du prestigieux prix du livre d’Ottawa. Le roman est actuellement en voie d’adaptation au cinéma par le romancier et le cinéaste Rachid Bouchareb. Son deuxième roman, Sans capote ni kalachnikov (paru dans la belle maison d’édition « Mémoire d’encrier » en 2017) a lui aussi été remarqué par différents jury littéraires.
Avec Dans le ventre du Congo, le romancier explore par les voies de la fiction entrelacée avec le réel, la destinée singulière de Tshala, princesse Bakuba, qui dans le cadre de l’Exposition universelle de Bruxelles de 1958 fut une des figurantes congolaises apparaissant dans le village africain reconstitué au pied de l’Atomium. La jaquette du roman, une oeuvre de Jacques Loustal, situe avec une force inimitable le décor de ce village africain.
Des personnages « historiques », ou plutôt leurs doubles romanesques et symboliques, jalonnent le récit qui se partage entre deux époques: 1958 et le début du XXIe siècle lorsqu’une nièce de la princesse revient en Belgique et croise le descendant du secrétaire général de l’exposition, nommé pour les besoins de la fiction Robert Dumont.
Les personnages historiques ont en effet changé de nom, donnant au romancier la liberté de raconter ce qu’ils incarnaient davantage que ce qu’ils ont pu être. C’est bien là une des forces de l’exploration par le roman d’une réalité historique. C’est aussi une manière d’aborder – et surtout de faire partager – les pages les plus complexes de l’histoire. Le Commissaire général d’Expo 58 s’appelle, dans le roman, Guido Martens de Neuberg . Tandis que le secrétaire général historique devient dans le roman, Robert Dumont. Au Congo ce sont Mark Cools et René Comhaire, administrateur de district qui incarnent la présence belge dans la Colonie dont sera expulsée la princesse, enlevée à bord d’un avion qui l’emmènera à Bruxelles en 1958…
Deux époques disions-nous, celle de l’Exposition universelle de 1958 et le début des années 2000, époque où la nièce de la princesse Tshala part sur ses traces . C’est faire fi de l’histoire millénaire de l’Afrique et des royaumes dont est issue la princesse Tshala et dont elle a déshonoré la dynastie des Nyimi lorsqu’elle est devenue la maîtresse de René Comhaire, « princesse happée par le piège du désir illicite pour finir chair à badauds. » Ce sont ces péripéties que depuis l’au-delà raconte Tsala à sa nièce Nyota, d’une voix venue de ce lieu mémoriel, dos à l’église Notre-Dame de Laeken, où la jeune femme peut lire sur la pierre: Tshala N. Moelo. Née à Mushenge, Congo belge, le 13 janvier 1939. Décédée à Bruxelles le 18 mai 1958. Se succèdent dans le récit de la défunte, les étapes et les protagonistes qui l’ont conduite de Mushenge à Laeken où elle repose dorénavant. La phrase est rapide, musicale, envoûtante et captive le lecteur tandis qu’il croise un jeune journaliste nommé Mobutu, un homme politique plein de promesses Lumumba, un musicien ensorcelant de rumba ou qu’il lit les évocations de figures comme Léopold II ou Stanley, ou encore, du côté des indignés, le journaliste Edmund Morel ou le pasteur presbytérien William Sheppard. Il y a aussi les bancs, les Belges, représentant l’Etat colonial aussi dénommé Bula Matari (« un nom d’origine kongo et qui veut dire casseur de pierres« ) comme Monseigneur Paul Goethaels, l’évêque de Luebo, et d’autres comme Mark Cools et René Comhaire, déjà cités, dont on découvre qu’ils sont pourvoyeurs d’objets d’art africain pour un projet de galerie d’art à ouvrir à Bruxelles et Londres….
Ce n’est pas le lieu ici de faire la chronique de ce roman, mais de vous inviter à vous y immerger et à vous laisser happer par le phrasé de Blaise Ndala comme si vous vous laissiez hypnotiser par la rumba de Wendo Kolosoy, connu sous le pseudonyme affectueux de « Papa Wendo » (dont le romancier fait de son frère fictionnel un merveilleux personnage du récit). Le roman est une porte ouverte sur l’Histoire, celle du Congo depuis les origines millénaires et de la Belgique, racontée à travers un de ses épisodes les plus symboliques de la colonisation dont on ne finira pas d’explorer les secrets. Le roman de Ndala devient dans la littérature francophone, une des balises de l’exploration de ces pages d’histoire.
Comme souvent, la fiction nous en dira davantage de vérité que n’importe quelle autre source à laquelle elle ira puiser. Et puis, l’écriture dense et allégorique du romancier invite le lecteur à aller investiguer les sources du réel, de l’histoire telle qu’elle s’est déroulée, ou , du moins, ce que nous en savons…
Jean Jauniaux le 13 février 2021
Sur le site des Editions du Seuil:
Avril 1958. Lorsque s’ouvre l’Exposition universelle de Bruxelles, Robert Dumont, l’un des responsables du plus grand événement international depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a fini par déposer les armes face aux pressions du palais royal : il y aura bel et bien un « village congolais » dans l’un des sept pavillons consacrés aux colonies. Parmi les onze recrues mobilisées au pied de l’Atomium pour se donner en spectacle figure la jeune Tshala, fille de l’intraitable roi des Bakuba. Le périple de cette princesse nous est dévoilé, de son Kasaï natal à Bruxelles en passant par Léopoldville, jusqu’à son exhibition forcée à Expo 58, où l’on perd sa trace. Été 2004. Fraîchement débarquée en Belgique, une nièce de la princesse disparue croise la route d’un homme hanté par le fantôme du père. Il s’agit de Francis Dumont, professeur de droit à l’Université libre de Bruxelles. Une succession d’événements finit par leur dévoiler le secret emporté dans sa tombe par l’ancien sous-commissaire d’Expo 58. D’un siècle l’autre, le roman embrasse la grande Histoire pour poser la question centrale de l’équation coloniale : le passé peut-il passer ?