Aux Editions De Fallois
LA VERITE SUR « LA VERITE SUR L’AFFAIRE »
Les années littéraires qui, comme chacun sait, en francophonie du moins, commencent à l’automne, ne se désignent pas par un millésime, mais par un titre. Ainsi, il y eut, voici cinq ans, celle marquée par « Les bienveillantes » de Jonathan Littel. 2013 entrera dans l’histoire sous le signe de « La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert » de Joël Dicker. Les deux livres ont raflé quelques prix, ont été le fruit d’une brillante manœuvre éditoriale, et atteint de gros, de très gros tirages. Je me permettrai de dire que le « Dicker », sorti de presse il y a trois mois, va faire beaucoup mieux que le Littel.
D’abord « Les Bienveillantes » est, à part quelques publications annexes sans commune mesure avec le roman qui révéla son auteur, resté sans suite, alors que tout porte à croire que Joël Dicker n’en restera pas là, il est doté d’une trop grande jubilation d’écriture pour cela. Ensuite son succès se confirmera forcément en traductions, alors que « Les Bienveillantes « a déçu tant le public anglo-saxon qu’allemand, les deux zones linguistiques où l’on croyait qu’il allait faire un malheur. Les Anglais n’y ont trouvé qu’un pesant pensum, les Allemands qu’une vision boursouflée et caricaturale de la plus grande catastrophe de leur histoire. Dans le cas de « La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert » les droits étrangers, paraît-il, s’arrachent, et il est plus que probable que les Américains vont faire la fête à un livre qui se marque par une telle adhésion à leur culture propre, dans ce qu’elle a de plus attachant, de plus séduisant, de plus irrésistible même.
Joël Dicker est un Helvète de 27 ans qui, au micro d’Edmond Morrel, a confié qu’il avait, dans ses jeunes années, beaucoup séjourné dans le Maine, le New Hampshire, bref dans cette nouvelle Angleterre romanesque à souhait. Ce qu’il n’a pas fait, c’est confirmer à son intervieweur qui citait les noms de Stephen King et de John Irving, qu’il les avait lus et bien lus, et que son ouvrage était un hommage évident comme le nez au milieu de la figure à leur imaginaire et à leur volupté de conter. Sans King, trouverait-on dans ce roman cette Nola qui a tout d’une Lola, d’une Lulu, d’une Lilith, femme enfant qui ensorcelle les hommes et vit elle-même dans un monde où le fantasme l’emporte sur la perception « normale » du réel, dont on ne sait si elle a été ou non martyrisée par sa mère et dont le père pasteur a tout l’air d’un exorciste, mais d’un exorciste de parodie ?
Sans Irving, serions-nous a ce point captivé par cette petite bourgade où chaque figure est caractérisée avec saveur par ses manies, son physique, son parler, restitués avec une infinie tendresse amusée ? Hugo jeune se voulait Chateaubriand ou rien, le jeune Dicker s’est trouvé des maîtres en ces auteurs qui ont préféré passer par le succès avant d’accéder aux anthologies et aux abrégés d’histoire littéraire. Dicker sur ce point, ne doit même pas ronger son frein : au bord du lac Léman, il a déjà rejoint Amiel, Ramuz et Valloton, dont on ne doit pas oublier qu’il n’était pas que peintre, mais aussi écrivain, Ce qui est tout profit pour la francophonie.
A ce propos, ne perdons pas de vue que ses deux éditeurs, Vladimir Dimitrijevitch, le Serbe devenu Suisse, et Bernard de Fallois, doyen de sa profession en France, ont bien mérité des lettres belges. L’un a même été sacré, au lendemain de sa mort, le meilleur des éditeurs belges, tant il avait défendu d’auteurs de nos contrées. L’autre, ne l’oublions pas, a été le confident de Simenon et le fidèle révélateur de l’œuvre d’Hugo Claus en français. En d’autres termes, nous sommes bien placés pour savoir les découvreurs que fut l’un des deux et que demeure l’autre.Lorsque deux grands professionnels de ce calibre reconnaissant les mérités d’un nouveau venu, on peut leur faire confiance.
Mais l’immense sans faute de ce pavé étourdissant dans les librairies s’explique surtout par ses qualités propres. Cette « Vérité sur l’Affaire Harry Quebert » est avant une extraordinaire réserve de plaisir de lecture. Et le public, qui a le nez fin, ne s’y est bien entendu pas trompé.
Jacques De Decker, 27 novembre 2012.
Edmond Morrel a rencontré Joël Dicker pour « espace-livres.be ». Vous pouvez prolonger la Marge et la Contre-Marge en écoutant cet entretien.
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530