Poésie à la une
C’est à ne pas en croire ses yeux :un quotidien de large diffusion a consacré, ce mardi 2 avril (2013) , ses cinq premières pages non pas à une crise économique, à la mort d’un chef d’état ou à une catastrophe naturelle, mais à la parution d’un recueil de poèmes. Lorsqu’on prend en compte la désaffection de la grande presse à l’égard de ce type de littérature, on ne peut qu’en être déconcerté. La motivation de ce régime d’exception s’explique d’emblée par la photo de couverture : on y voit, tenant sa cigarette entre le majeur et l’auriculaire de sa main droite, selon une attitude qui est son signe distinctif principal, Michel Houellebecq, l’auteur des « Particules élémentaires » et de « La Carte et le Territoire » qui remporta le prix Goncourt en 2010.
En d’autres termes, la « une » d’ un journal, de nos jours, ne peut faire sa place à un poète que pour autant qu’il soit aussi et avant tout romancier, et qu’en cette qualité, à l’instar de Houellebecq il soit, comme le rappelle l’article introductif « l’écrivain français-vovant le plus connu », « traduit dans le monde entier » au demeurant.
Il n’empêche : il est rafraîchissant, voire jouissif que cette parution motive non seulement une copieuse interview, mais deux articles sur des sujets aussi prétendument dépassé que l’usage de la rime ou la versification classique. En d’autres termes, Lamartine et Vigny sortent du tombeau. C’est un symptôme en soit, qui est à ranger avec le retour au figuratif en peinture et à la mélodie en musique au rayon des recours aux valeurs sûres. Effet de crise ? C’est probable. Lassitude des expérimentations artistiques dont même les initiés constatent les fréquentes impostures ? Peut-être. C’est aussi, en l’occurrence, une manœuvre commerciale qui vise à ne pas faire pâtir un écrivain à succès et, surtout, son éditeur (à savoir Flammarion, qui a rejoint le groupe Gallimard) d’une contre-performance due à un usage littéraire jugé par beaucoup périmé.
Or, la poésie n’est pas morte. Et, de tous les peuples de la francophonie, les Belges en sont les premiers convaincus, puisqu’ils en sont aussi les plus braves défenseurs. Cela se mesure au nombre de poètes de qualités qui oeuvrent sur son territoire, et d’éditeurs qui s’obstinent à la promouvoir. Songeons, par exemple, à l’activité inlassable du « Taillis pré », cette maison sise dans le Hainaut qui veille à la fois à la découverte des jeunes talents et à l’entretien de la mémoire du patrimoine. Il est vrai qu’elle est animée par Yves Namur, ce poète de première grandeur qu’a couronné le prix Mallarmé et qui vient d’être élu à l’Académie placée sous l’égide de l’auteur du « Coup de dé ».
Souvenons-nous aussi de cette Maison de la Poésie de Namur devenue légendaire, aux destinées de laquelle préside l’inlassable Eric Brogniet, et qui est située à deux pas de l’église où Baudelaire fut frappé de l’attaque cérébrale qui lui fut fatale.
Belgique, terre de poésie ? Même Houellebecq doit s’en souvenir, qui débuta dans l’écriture avec un recueil paru à La Différence, cette intrépide maison dirigée à Paris par une autre Belge d’origine, Colette Lambrichs, qui vient de faire redémarrer la si inventive collection « Orphée », la meilleure vitrine de la poésie de tous les continents, en format de poche. Et si la mise en évidence exceptionnelle de Houellebecq avait un lendemain ? Si, par nos temps météorologiquement et moralement hivernaux un nouveau printemps de la poésie s’était déclaré de la sorte ? N’était-ce pas un poète de génie qui déclara un jour « là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve » ?
Il s’appelait Hölderlin.
Jacques De Decker
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