« La Confusion des sentiments et autres récits » de Stefan Zweig, Nouvelles traductions sous la direction de Pierre Deshusses, « Bouquins », Robert Laffont »LA REMISE A NEUF DE ZWEIG »
C’est une grande opération de rénovation. Plus besoin de rassembler tant bien que mal les vieilles éditions de poche des récits de Stefan Zweig accumulés au fil des ans ou hérités leurs lecteurs précédents, dénichés pour une bouchée de pain dans une brocante ou simplement trouvés abandonnés sur une tablette de wagon de chemin de fer ou sur un banc public : les voici tous comprimés en un volume, pratique, maniable et compact comme le sont tous ceux de cette fabuleuse collection Bouquins dont on ne chantera jamais assez les éloges. A côté de la Pleiade, guindée, prétentieuse et de plus en plus indéchiffrable à mesure que le lecteur prend de l’âge, elle apparaît comme un véhicule des plus confortables du pur plaisir de la lecture.
Or, du plaisir, Stefan Zweig en a dispensé à foison, de son vivant déjà et après sa mort davantage encore. Il est l’écrivain de langue allemande le plus traduit et le plus lu au vingtième siècle. Il dame le pion à quelques géants : Thomas Mann, Musil, Hofmannsthal et consorts. Ces derniers, jaloux de son succès, ne dissimulaient pas leur mépris pour ce collègue qui, lui, ne se lassait jamais de reconnaître leurs mérites. Car Zweig était le bon confrère par excellence, et pas seulement avec les littérateurs de sa culture, il entretenait des relations transfrontalières avec ses contemporains dont il savait la langue, et il en maîtrisait quelques-unes. C’est ainsi qu’il était l’ami de Romain Rolland, à qui il consacra dès son jeune âge une étude monumentale, de Jules Romains dont on se demande quand il sortira d’un purgatoire qui pourrait bien être définitif, et aussi de quelques Belges de grand format, comme Emile Verhaeren ou Franz Masereel. Qu’il partage les opinions de ces intellectuels de gauche prouve bien qu’il ne collait pas avec l’image du lettré bourgeois dans laquelle on l’a enfermé.
Il était, il est vrai, le fils d’un patron d’une grande usine de textile autrichienne dont, à la mort de son père, il laissa la gestion à son frère, lui se contentant d’en toucher les dividendes. Ses droits d’auteur, à la mesure de ses talents, ne faisaient que grossir davantage ses revenus plantureux. Mais cela lui permettait surtout d’en faire partager les avantages par ses confrères : sa somptueuse propriété de Salzbourg était, avant 1933, le carrefour de l’intelligence européenne. Cette utopie se fracassa dès la prise de pouvoir de Hitler et lorsque l’Anschluss, applaudi par la majorités de ses compatriote, plongea son pays dans le cauchemar. Il fut donc forcé à l’exil, jusqu’au Brésil, où il prit, à soixante ans, en 1942, la dose de Véronal nécessaire pour fuir un monde qu’il avait vu s’écrouler.
Mais il laissait, en-dehors de bon nombre de magistrales biographies, une œuvre de fiction qui ne connut jamais la désaffection du public. Ce sont ces récits, tous écrits sur le fil du rasoir, d’une finesse et d’une humanité extrêmes, subtils et généreusement mis à la portée de tous, qui se trouvent réunis dans ce volume qui nous présente des textes comme remis à neuf du fait d’un admirable travail collectif de retraduction. Françoise Wuilmart, directrice du Centre Européen de Traduction Littéraire de Bruxelles et du Collège Européen de Seneffe est l’un des sept orfèvres réunis par Jérome Deshusses pour assurer cette entreprise de restauration. On a beau connaître quelques-uns des textes réunis, on les redécouvre à la faveur de cette lecture collective où le scrupule le dispute au talent. D’autres versions vont suivre sans doute, à la faveur de l’entrée de Zweig, 70 ans après sa mort, dans le domaine public. Mais il serait étonnant qu’elles atteignent le niveau de qualité de celle-ci.
Jacques De Decker
LA CONFUSION DES SENTIMENTS, AMOK, LE JOUEUR D’ÉCHECS ET AUTRES RÉCITS
Stefan ZWEIG
Traduit par
Nicole CASANOVA
Tatjana MARWINSKI
Sacha ZILBERFARB
Françoise WUILMART
Jörg STICKAN
Olivier MANNONI
Irène KUHN
« Bouquins » propose une nouvelle traduction des récits de Stefan Zweig, dont l’oeuvre continue de susciter un engouement considérable.
Retraduire est une donnée nécessaire et paradoxale. Nécessaire parce que toute traduction vieillit et doit s’adapter aux époques et à la langue qui évolue. Paradoxale parce que, si l’oeuvre originale vieillit aussi, elle échappe par nature à toute tentative ou tentation de modification. En 2013, une très grande partie de l’oeuvre de Zweig tombe dans le domaine public, événement d’une grande importance littéraire et éditoriale, puisqu’il permet d’engager de nouvelles traductions, souvent pour le plus grand bénéfice de l’oeuvre.
Celle de Stefan Zweig est déjà largement traduite en français, ce qui en fait l’un des auteurs de langue allemande les plus lus en France. Mais certaines traductions remontent à plus de quatre-vingts ans – quelques-unes ont même été publiées du vivant de l’auteur – et beaucoup méritaient d’être rafraîchies ou adaptées aux critères d’aujourd’hui.
Cette édition regroupe la quasi-totalité des récits de Zweig, un genre littéraire dans lequel il excellait. Ses meilleurs écrits sont, en effet, des formes brèves. Ces 35 récits, confiés à une équipe de huit traducteurs sous la direction de Pierre Deshusses, sont présentés ici, pour la première fois, de façon chronologique, ce qui permet de mieux saisir l’évolution de l’écriture de Zweig et les répercussions de la maturité sur l’analyse des problèmes qu’il traite, parfois très actuels. Certains de ces textes, pratiquement inconnus, comme Rêves oubliés, Deux solitudes, Une jeunesse perdue, La croix… vont révéler au lecteur des aspects nouveaux de l’auteur. On retrouvera aussi les oeuvres les plus connues : Amok, La Confusion des sentiments, Le Joueur d’échecs…
L’ensemble évoque, sur un mode souvent aux antipodes du naturalisme, les destinées le plus souvent tragiques de créatures fragiles et menacées, la puissance démoniaque de la passion. L’intérêt pour la psychologie des profondeurs de celui que Romain Rolland disait un « chercheur d’âme » est tel qu’on l’a souvent considéré comme un émule de Freud. Cette affirmation mérite d’être nuancée, mais il est vrai que Zweig attache plus d’importance au caractère de ses personnages qu’au milieu dans lequel ils s’inscrivent. Il nous offre ce qu’on appelle une « typologie des formes de la passion ».
Les « Marges » s’enchaînent sur quelques mesures de l’allegro moderato alla fuga de la Sonate n°2 de Nicolas Bacri interprété par Eliane Reyes. Ce morceau est extrait du récent CD enregistré chez NAXOS des « Oeuvres pour piano de Nicolas Bacri » interprétées par Eliane Reyes
Le disque réunit les oeuvres suivantes :
Prélude et fugue, Op. 91
Sonate n° 2
Suite baroque n°1
Arioso baroccp e fuga monodica a due voci
Deux esquisses lyriques, Op. 13
Petit prélude
L’enfance de l’art, Op 69
Petites variations sur un thème dodécaphonique, Op 69
Référence : NAXOS 8.572530