Le romancier Francis Groff s’est fait connaître en inaugurant la collection »Noir Corbeau » sous l’enseigne des Éditions Weyrich. Après une carrière de journaliste de la presse écrite, de documentariste et d' »Ombudsman » à la ville de Charleroi (Belgique) , il met son art de raconter au service de la fiction. Ses premiers romans policiers comme Morts sur la Sambre ou Vade retro Félicien se nourrissent des expériences successives du journaliste, du documentariste et de l’Ombudsman (à l’écoute des plaintes des citoyens à l’encontre de l’administration communale). Il met au point un modus operandi qui se répétera au fil des ouvrages qui se succèderont d’année en année sous la couverture jaune et noire de l’éditeur ardennais: après avoir construit le personnage central, un expert en livres anciens du nom de Stanislas Barberian, il le lance sur des enquêtes policières auxquelles il est associé au hasard des voyages professionnels qu’il effectue en Wallonie. Le journaliste réunit les informations pertinentes sur les lieux et les circonstances des récits (Namur, Liège, Waterloo…etc)
On n’a pas manqué d’associer la création de son Stanislas Barbérian aux grandes séries de la littérature policière fondées sur un personnage récurrent: Monsieur Wens, Adam Dalgliesh, Hercule Poirot et bien sûr Maigret.

On ne sera pas étonné de découvrir dans « L’homme sous le toit » des similitudes avec les romans « durs » de Simenon, ces romans par lesquels le romancier liégeois se libérait de la contrainte du roman policier et de son personnage, pour inventer des récits mettant en scène « l’homme nu » dans ce qu’il appelait aussi ses « romans-romans » ou « romans de l’Homme » .
Avec L’homme sous le toit, Francis Groff crée un huis-clos démultiplié, littéralement « mis en abyme »: huis-clos d’un récit se centrant au sein d’une famille (le couple Gabriel et Catherine Lepape et leurs enfants les jumelles Elodie et Elise), de leur milieu professionnel (il est employé communal elle est graphiste indépendante), mais aussi dans certaines pièces de la maison, dont le grenier aménagé (« sous le toit ») et les chambres de adolescentes. Tout semble tranquille, la petite ville de province, la routine professionnelle, les loisirs (notamment pour Gabriel la fabrication de maquettes de bateaux qui envahissent la maison), le quotidien routinier…
Groff met en exergue les détails annonçant la faille qui se creuse et s’élargit de façon irréversible. L’agressivité mutuelle des adolescentes dépasse ce qui est « normal », l’ennui au sein du couple, l’impossibilité de communiquer avec les enfants en crise…provoquent l’exil volontaire du père dans les combles de la maison où il aménage un espace où il s’isole de plus en plus souvent, fuyant la dérive familiale, incapable de l’endiguer.
On ne peut ici dévoiler le drame, point incandescent du récit, ni l’origine de celui-ci. Disons tout de même que Groff réussit à inverser la responsabilité « habituelle » de la violence qui l’a suscité. Comme dans un texte mythologique, Il faut attendre les derniers feuillets du livre pour connaître l’entrelacement fatal des circonstances et leur irrévocable issue.
Trois points de vue narratifs alternent dans le déroulement de la narration: celui de Gabriel Lepape, celui du narrateur et celui du chat. Ce témoin silencieux et omniprésent, comme un « choeur », se glisse dans chacun des lieux de la maison, observant et commentant avec une sagesse désabusée le comportement des humains. Groff décortique étape par étape le cheminement des personnages.
Avec ce premier roman « dur », Groff s’ouvre à une nouvelle source d’inspiration, renouvelant sa pratique romanesque en s’inscrivant dans la collection « Œuvres au rouge » des Éditions F deville. une maison d’édition dont le catalogue se nourrit avec éclat de littérature belge en langue française.
Après la série des « Barberian », Francis Groff inaugure avec L’homme sous le toit ce que l’on pourrait appeler ses « romans de la destinée ».
C’est ainsi aussi que l’on qualifie les « romans durs » de Simenon…
Jean Jauniaux, le 23 mars 2024
Sur le site des Editions F deville :
Dans une petite ville française sans histoire, une famille vit paisiblement dans une maison ordinaire. Un bonheur tranquille, presque banal, jusqu’à ce qu’une maladie vienne en perturber l’équilibre. Rien de grave, pense-t-on d’abord. Juste une ombre discrète qui s’immisce dans le quotidien, sournoise, presque anodine. Puis survient le drame. Impensable. Incompréhensible. À l’intérieur de la maison, le silence s’épaissit, la vie se recroqueville. Sous les combles, dans un refuge qu’il s’est aménagé pour fuir la réalité, un père s’isole, noircissant les pages d’un cahier comme pour conjurer l’inacceptable. Trois voix s’élèvent dans ce huis-clos oppressant : celle de l’homme, celle du narrateur, et celle du chat, témoin insaisissable qui observe, impassible, les failles se creuser. Au fil des pages, le drame se dessine, implacable, jusqu’à révéler les tréfonds du comportement humain.