« Niznayou » de Françoise Pirart aux Éditions M.E.O.

C’est en 1992 que Françoise Pirart a publié son premier roman, La croix de Saint-Vairant, initiant ainsi aux Editions Pré-aux-Sources ce qui constitue aujourd’hui, trente ans et vingt romans plus tard, une bibliographie littéraire de première importance. L’envergure et la qualité de l’oeuvre ont valu à plusieurs ouvrages de l’écrivain les prix littéraires les plus prestigieux (Hubert Krains, Gauchez-Philippot, Marguerite van de Wiele, Alex Pasquier, Prix du roman historique jeunesse de Blois), mais aussi, pour l’ensemble de son oeuvre le Grand prix bisannuel de l’Association des écrivains belges de mangue française, l’A.E.B..

Les éditions M.E.O. ont publié le précédent roman de Pirart, Beau comme une éclipse (2019) et plus récemment, un recueil de nouvelles Tout est sous contrôle. L’éditeur bruxellois avait également réédité le roman La grinche, roman lauréat du prix Gauchez-Philippot devenu indisponible…

Avec la parution cet été de Niznayou, l’éditeur Gérard Adam nous donne une nouvelle occasion d’apprécier le travail de la femme de lettres.

Elle n’a eu de cesse, de roman en roman, de renouveler son inspiration, en plaçant au plus haut l’exigence dans l’écriture romanesque, dans la construction narrative, la puissance d’évocation et le flux constant de l’émotion. Avec Niznayou, elle compose un récit sensible et puissant autour de la rencontre entre un jeune garçon, immigré survivant de la première guerre de Tchétchénie,qui prétend s’appeler Niznayou et d’Hélène, assistante sociale dans un centre d’accueil pour immigrés, situé dans une petite ville d’Ardennes.

Fonsny-La-Roche et la forêt qui lui est voisine sont autant les protagonistes du récit que les personnages centraux (Léna et le jeune garçon immigré). La forêt est à la fois un refuge pour le jeune Niznayou qui y fait des fugues et pour Michaël, un homme qui s’y retire comme un ermite occasionnel, mais aussi les grands parents d’adoption de l’enfant qui rêvent de prendre leur retraite dans un refuge laissé à l’abandon, la Pierre-au-Bois, et d’y reconstruire leur vie après un terrible accident). Pirart déploie à partir de la rencontre initiale de ces deux-là, les fils entrelacés d’un métier à tisser où, petit à petit, se dévoile l’ensemble romanesque. Avec art la romancière entrelace les destins des personnages: le compagnon d’Hélène, Tony, un être frustré, passionné d’armes à feu et influençable; son « mentor », Pol caricature de militant complotiste. Il y a aussi les personnages positifs, comme David, collègue d’Hélène dans l’association d’aide aux réfugiés. Le passé et ses secrets se révèle au fil des pages et permet d’embrasser l’ensemble du roman, dont l’habileté de la construction fait une oeuvre d’importance. Nous rappeler la cruauté aveugle de la première guerre de Tchétchénie contribue à situer Niznayou parmi les livres qui font devoir de mémoire. Peut-être est-ce dans cette vocation qu’il faut chercher le choix du titre, qui est le nom d’emprunt du jeune orphelin mais aussi la transcription phonétique d’une phrase que les russophones auront identifié d’emblée.

On s’interroge souvent sur la fonction de la littérature. Une réponse nous est proposée ici: appréhender le monde en usant de ces outils que le roman nous octroie: l’empathie et l’émotion. L’animation d’ateliers d’écriture et l’aide aux récits de vie ont à n’en pas douter nourri l’art romanesque que développe de livre en livre la romancière.

Nous avions eu l’occasion d’interviewer à différentes reprises Françoise Pirart, pour la parution de La légende des Hauts Marais (2014), Chicoutimi n’est plus si loin (2014),Sur l’océan de nos âges (2013), Sans nul espoir de vous revoir (2012). Aucun de ses livres ne laisse indifférent. Comme le regretté Jacques De Decker l’écrivait à la parution du premier roman de Françoise Pirart, La croix de Saint-Vairant : « La pureté d’une voix s’impose et on a hâte qu’elle nous enchante à nouveau ». C’était la conclusion d’un article qui s’ouvrait par cette annonce tonitruante, et confirmée de livre en livre : «  Oyez, bonnes gens, une conteuse nous est née. Une vraie raconteuse d’histoires qui est si requise par le récit qui l’entraîne qu’elle cherche avant tout à le suivre, comme le ruisseau suit son cours. » (Le Soir, 25/11/1992).

Depuis trois décennies, l’enchantement annoncé, n’a jamais été démenti et est à nouveau au rendez-vous ici.

Formons le voeu que ce livre ne passe pas inaperçu au coeur de la rentrée littéraire.

Jean Jauniaux, le 21 août 2024