« Jean-qui-vole » de Françoise Houdart, un récit singulier conjugué au mode universel.

« Moi j’ai jamais dit maman à personne », s’exclame « Petit Jean » dont Françoise Houdart nous donne ici le récit d’une enfance orpheline, celle de Jean, enfant du Borinage (le terreau romanesque de prédilection de la romancière d’Elouges), dont la mère, Florida, décéda cinq semaines après l’accouchement. Le papa, Adolphe confia l’enfant à ses grands parents, Hortense et Maximilien. Ceux-ci furent bien vite dépassés. Adolphe se résolut alors à laisser l’enfant à son frère Louis et à sa femme Pauline, « parrain » et « Matante ».

Voici le point de départ de Jean-qui-vole paru aux éditions AUDACE/La roulotte théâtrale , un récit écrit pendant le confinement à partir des conversations dont Françoise Houdart et son mari (celui qui devient « Jean qui vole » dans cette fausse fiction) nourrissent les promenades qu’ils effectuent pendant la pandémie. On imagine que ces instants se nourrissent des souvenirs, racontés souvent, mais aussi des lieux traversés lors de la promenade, de cette atmosphère oppressante et anxiogène des journées, des semaines, des mois scandés par les statistiques funèbres. Le moment est venu de « raconter » cette histoire, pour la transmettre aux générations qui sont nées du couple, mais aussi pour rendre hommage à la mémoire de « Matante » devenue une vraie « maman », même si jamais nommée. Françoise Houdart est romancière du Borinage. Elle a l’art de plonger le lecteur dans ces paysages miniers, ces ruelles de coron, ces courettes et ces cafés dont elle collectionne les tableaux qu’en faisait, un siècle plus tôt, Victor Regnart le peintre auquel elle avait consacré un roman puissant et fort, Les profonds chemins (lauréat du prestigieux prix Charles Plisnier).

Françoise Houdart est romancière mais aussi poète et dramaturge. Elle sait comment articuler les personnages aux émotions, les émotions aux phrases qui viennent accrocher dans le coeur du lecteur ces instants de grâce qui nous bouleversent. Elle sait donner un style à cette narration qui échappe au récit de vie de quelqu’un pour devenir simplement une histoire, faite d’enfants, de femmes et d’hommes qui transcendent leur destin pour que nous les reconnaissions comme nos proches, parce qu’ils sont simplement humains. Et puis l’art de la romancière est d’avoir choisi un point de vue, une narratrice exceptionnelle dans tous les sens du terme. Nous ne dirons pas ici qui elle est. Simplement qu’elle fut le témoin idéal d’une vie qui nous est ici contée avec sensibilité, émotion, humour et tendresse.

Avec ce récit, Françoise Houdart démontre une nouvelle fois combien elle maîtrise cet art romanesque qui lui valut de nombreuses distinctions littéraires et un public fidèle, attentif à chacune de ses nouvelles publications.

Jean Jauniaux, le 22 octobre 2022.

Nous avions rencontré Françoise Houdart à la parution de son roman Les profonds chemins parus aux Editions Luce Wilquin. Son interview radio y est toujours disponible. L’occasion est donnée ici de souhaiter que ce roman consacré à Victor Regnart soit un jour à nouveau édité.

Voici un extrait de la recension que nous écrivions alors: « Françoise Houdart utilise toutes les ressources de la fiction pour nous emmener dans la vie mais aussi dans l’inspiration du peintre, pour envisager les hypothèses les plus plausibles concernant la part secrète de sa vie : un séjour à Paris à l’époque où s’y trouvaient aussi Picasso et Hemingway, un deuxième Prix de Rome qu’il n’a pas exploité pour partir à l’étranger (quelles raisons l’ont poussé à rester dans ce petit village minier d’Elouges ?), son amour et son mariage avec sa cousine germaine Marie (mariage qui impliquait de ne jamais avoir d’enfant), son obstination à peindre les « courettes » auxquelles son oeuvre est exclusivement rattachée dans l’esprit des critiques (qui escamotent ainsi tout sa production de nus, de paysages, de natures mortes…) ? Ce sont tous ces chemins-là que la romancière va explorer. Elle mène l’enquête en convoquant les témoignages posthumes des modèles auxquels elle donne la parole, en invitant même Victor Regnart à s’expliquer. Au bout de ce livre, qui se lit d’une traite, vous envahit la sensation que seuls créent les grands romans : celle d’entrer dans un univers issu à la fois du réel et de l’imaginaire, des paysages et de l’écriture, de la vie et du style. »