Françoise Salmon, créatrice et directrice de la maison d’édition Murmure des Soirs a été particulièrement bien inspirée de retenir, en 2018, le manuscrit du premier roman d’un auteur « néophyte », Bernard Antoine. Nouveau venu sur la scène littéraire belge à près de soixante ans, il reçut pour ce premier opus, Pur et nu deux prix littéraires majeurs: le Prix Saga café du meilleur premier roman et le Prix des Bibliothèques de la ville de Bruxelles qui lui fut octroyé à l’unanimité du jury.
En 2022, à la même enseigne, Bernard Antoine nous revient avec un des romans les plus puissants et les plus ambitieux de ces derniers mois: Aquam. Il est étonnant que, paru en mars de cette année, le livre n’ait pas retenu l’attention autant qu’on aurait pu s’y attendre après lecture de ce fort volume. Roman au souffle long, Aquam entrelace deux récits tout au long de plus de 450 pages, distribuant sur deux périodes (1914-1945 et 2027-2028) les destins de personnages traversant l’Histoire ou projetés dans l’uchronie de la fin de notre décennie. Le massacre d’une famille lors d’un assaut scélérat d’une unité allemande au début de la première guerre mondiale ouvre ce roman-fleuve dont les méandres mèneront le lecteur jusqu’à l’accomplissement de la vengeance à laquelle s’est engagée Jean-Baptiste, adolescent, témoin de la sauvagerie des soldats. Les événements (les deux guerres mondiales) et les personnages historiques ( Empain, Louis de Potter, Mary Cassatt) croisent les personnages imaginaires: Jean-Baptiste, porté par la promesse de se venger de l’officier Krüger; Solveige et Pauline avec qui il compose un trio amoureux; Hugo , Anselmo, Tom Ferry figures utopiques apparaissant dans la communauté villageoise installée dans la vallée mosane alors que les cataclysmes écologiques font écho aux drames du passé.
Il faut se laisser porter par les histoires que Bernard Antoine narre avec un lyrisme de style et d’imagination, une invention sans cesse renouvelée de l’art de « mettre en scène » certaines séquences (le départ des visites guidées des champs de bataille en 1916 est un des morceaux d’anthologie du livre). L’ambition du livre évoque Malaparte ou, plus près de nous, des romanciers américains comme Roth, Auster ou Donna Tartt. Elle détonne dans le paysage littéraire francophone qui, à l’inverse des littératures hispanique, anglo-saxonne, ou asiatique, semble préférer le récit court, intime à ce qui fait, aussi, l’essence du roman: le déploiement vaste et hypnotique d’une histoire. Bernard Antoine démontre ici qu’il a cette envergure-là, dont il nous donne la preuve envoûtante et fulgurante avec Aquam .
Jean Jauniaux, le 6 octobre 2022
N.B. Bernard Antoine était l’invité des « Coups de Midi » de la bibliothèque des Riches Claires ce 5 octobre. L’enregistrement video de cet entretien est disponible sur le site des Riches Claires
Sur le site des Editions Murmure des Soirs:
Août 1914, vallée mosane. Jean-Baptiste, quatorze ans, échappe par miracle à la fureur meurtrière d’une unité allemande emmenée par un officier de cavalerie dont la beauté rivalise avec la brutalité. Profondément choqué, l’adolescent est confié aux soins d’un jeune neurologue parisien disciple de Charcot et de Freud. Il y forge, jour après jour, un implacable projet de représailles. C’était sans compter avec un singulier duo de belles-sœurs qui font irruption dans sa vie.
Octobre 2027, vallée mosane. Alors que le monde culbute dans le chaos postmoderne, Anselmo, le prieur de l’abbaye Laus Perennis, découvre chez sa compagne Cécile des signes troublants de divination. Le déluge qu’elle pressent relève-t-il de la colère divine ou, plus prosaïquement, du dérèglement climatique ?
Au fil d’un récit polymorphe aux accents de réalisme magique, Bernard Antoine fait entrer en résonance l’étourderie coupable des années trente à Berlin (qui enfanteront la tragédie nazie) et une modernité minée par l’anxiété climatique, les questionnements religieux et la hantise du déclin. Aquam, qui se joue avec bonheur des méandres de l’évidence et de l’Histoire, nous rappelle que « le temps est innocent des maux qu’on lui attribue » (Denis Heudré).