En fin de volume, la bibliographie de Jean-Baptiste Baronian (que nous avons rencontré ici à de nombreuses reprises) donne le vertige romans, contes, nouvelles, essais, poésie, littérature pour enfants…Rien dans le champ littéraire n’a échappé à la plume de celui qui fut aussi critique littéraire (ancien rédacteur en chef du Magazine littéraire) éditeur (notamment chez Marabout) et qui est un des académiciens belges parmi les plus actifs. Il est aussi féru d’anthologies , de guides et de dictionnaires dont, nous disait-il, le Dictionnaire Rimbaud (qu’il dirigea pour la collection Bouquins) lui donna le goût de ce genre éditorial, publiant notamment un Dictionnaire amoureux de la Belgique, fort remarqué.
Et la gastronomie? Elle figure déjà dans l’oeuvre de Baronian avec un Dictionnaire de la gastronomie et de la cuisine belges (Rouergue, 2019) qui dût lui mettre l’eau à la bouche et, c’est une hypothèse non vérifiée, lui donner l’allant et l’appétit pour confectionner le Dictionnaire des écrivains gastronomes qui paraît ces jours-ci chez Flammarion. De Jean-Pierre Alaux à Emile Zola, le lecteur peut se mettre à la table de ses écrivains de prédilection, mais aussi faire son marché en découvrant à la fois la cuisine et les oeuvres d’auteurs qui lui seraient moins familiers ou inconnus. C’est un des effets heureux de ce type d’ouvrage: la lecture désordonnée ouvre des portes inattendues vers des oeuvres que l’on se promet de lire et vers des plats que l’on aura bonheur à confectionner.
« Tous les écrivains réunis dans ce livre sont, à un degré ou à un autre, des culinographes ou des gastrologues » annonce d’emblée l’auteur. Il s’agira donc d’écrivains (d’expression française ou traduits en français) « qui se sont intéressés de près à la bonne chère ou à la rive bouteille, ou qui ont publié des oeuvres possédant de profondes affinités avec la gastronomie et l’oenophilie. »
Chaque entrée donne l’envie de lire et de découvrir des auteurs dont Baronian en quelques lignes éveille notre curiosité, notre surprise, notre désir d’en savoir (d’en lire) davantage. Ainsi le lecteur sera-t-il intrigué par les noms (choisis parmi bien d’autres au hasard de la lecture) de Jean Grand, Joseph de Pesquidoux, Marcel Rouff (dont « le livre Dodin-Bouffant est un chef d’oeuvre » s’exclame Baronian), du poète Maurice Rollinat (« un diable en acier » selon Barbey d’Aurevilly). Mais il y a aussi les « classiques » ou les « célèbres » que l’approche gastronomique de Baronian éclaire d’un jour nouveau. Ainsi Carlo Collodi (auteur de Pinocchio) cosntitue-t-il « la surprise du chef dans le présent dictionnaire ». Mais l’appétit vient avec autant de force et de saveurs en découvrant les entrées consacrées à Baudelaire, Balzac, Barnes Giono,Rabelais, Ramuz, Proust (évidemment) etc.
Parmi ses compatriotes, outre Simenon (« qui a fait de son commissaire Maigret (…) un buveur invétéré, absorbant volontiers tout ce qui se lampe et s’écluse », Baronian convie le poète Yves Namur (à qui l’on doit entre autres La petite cuisine bleue et qui nous vaut une énumération diablement appétissante de plats et de mets, ainsi qu’une référence à un autre Namurois, Félicien Rops, qui « concevait des menus gourmands pour des banquets plus ou moins mondains au XIXe siècle »); l’essayiste et romancier Jean-Claude Bologne (« un fort en thèmes – thèmes au pluriel ») dont Baronian évoque – entre autres- L’arpenteur de mémoire où une scène d’évasion a pour cadre une dont les murs sont en pains d’épices et les barreaux en sucre d’orge. »; Marie Delcourt à qui l’on doit Méthode de cuisine à l’usage des personnes intelligentes que n’épargne pas la sévérité de Baronian; Christopher Gérard dont Aux armes de Bruxelles – que nous avons évoqué ici à sa sortie – mérite amplement le commentaire amical de baronian: « Christophe Gérard a remporté son pari d’écrire un guide sentimental, littéraire, historique et gastrolâtre dont on déguste , sans réserve aucune, autant le fond que la forme. »; Robert Goffin (qui confesse « Des imaginations gourmandes me torturent » dans Routes de la gourmandise ); Jean-Claude Pirotte (qui « a parlé du vin avec un talent fou », « Les contes bleus du vin sont des bijoux d’œnophilie sentimentale. » )
Le livre de Baronian, orné des (magnifiques) dessins de Gabrielle Lavoir, illustre à la perfection l’hypothèse dont il s’est donné pour tâche de faire la démonstration: « Le plaisir de manger et de boire passe par l’esprit et par l’imaginaire. Et aussi par les mots. La magie des mots. »
Jean Jauniaux, le 4 octobre 2022.
« On mange et on boit, parfois beaucoup, dans les romans, mais surtout, la façon dont les personnages s’y restaurent n’est en rien le fruit du hasard. Dans un livre à l’érudition réjouissante, Jean-Baptiste Baronian nous invite à nous mettre à table avec les héros de nos auteurs préférés et à en découvrir bien d’autres. L’occasion d’apprécier différemment les classiques des géants des lettres comme les œuvres savoureuses d’écrivains parfois oubliés, le tout sous la forme commode d’un dictionnaire qui fait résonner l’histoire de la littérature avec celle de la gastronomie. »